Les derniers seigneurs de Moon : les de Baupte

Les derniers seigneurs de Moon : les de Baupte

8 avril 2022 0 Par Gilbert LIEUREY
Armoiries de la famille de Baupte : de sable, au pal d’or, chargé d’une flèche de gueules.
Sources : « recherches de noblesse, armorial » Charles René d’Hozier 1696.

Dans le cimetière, se dresse encore la pierre tombale de Jean François Henri de Baupte, dernier seigneur de Moon, décédé à Moon le 15 mai 1815 à l’âge de 76 ans. Cette stèle au décor végétal biblique est visible au pied du mur nord de l’église, près de la porte de sortie du chœur de l’église.

François de Baupte épouse en 1737 Marie Gillette Bauquet dame de Moon et héritière

Jean François Henri de Baupte est né le 21 juin 1738 à Ecrammeville, paroisse du Bessin proche de Trévières, d’une très vieille famille noble dont la branche cadette s’était établie à Ecrammeville. Ses trois prénoms témoignent de ses ascendances, avec Jean, prénom de son grand-père paternel Jean de Baupte (vers 1686-1771) seigneur de Baumer, avec François, prénom de son père (vers 1711-1749) et avec Henri, prénom de son grand-père maternel Henri Bauquet seigneur de Moon.

Son père François de Baupte, seigneur de Baumer, avait épousé en l’église de Moon en 1737 Marie Gillette de Bauquet, dame de Moon, fille du seigneur et patron de la paroisse de Moon, Henri de Bauquet, écuyer sieur de la Buissonnerie (1).

Signatures de l’acte de mariage de 1737 : Marie Bauquet (la mariée), H Bauquet ( Henri le père), f de Baupte (le marié), L. Potier (Louis mari de Marie Louise Bauquet soeur), Marie de Grossourdy (mère de la mariée), de Baupte (Jean le père), Charlotte Bauquet (sœur de la mariée), Marie L Bauquet (Marie Louise sœur de la mariée, Halley (Honoré), Guérin (curé des 2 premières portions), A Guenon (curé de la 3e portion dite de la prébende)

Henri de Bauquet et sa femme Marie de Grossourdy furent les parrain et marraine du futur seigneur de Moon Jean de Baupte, lors de son baptême célébré le 23 juin 1738 à Ecrammeville (2).

Mais le futur seigneur de Moon se retrouva orphelin dès l’âge de 11 ans après la mort de son père le 9 juin 1749 à l’âge de 38 ans et celle de sa mère Marie Gillette de Bauquet, dame de Moon, le 29 juin 1749 à l’âge de 36 ans. La jeunesse des parents et le rapprochement des deux dates laissent à penser que les décès furent liés à une maladie contagieuse : était-ce la variole si répandue au XVIIIe siècle ? Ils furent inhumés dans la nef de l’église d’Ecrammeville. Restaient trois orphelins : outre Jean de Baupte seigneur de Moon, sa sœur Marie Geneviève dame de Baumer âgée de 10 ans, et son petit frère Louis dit chevalier de Baupte âgé de 8 ans.

Furent-ils élevés à Ecrammeville ou à Moon ?

Ils avaient encore leur grand-père paternel Jean de Baupte, seigneur de Baumer résidant d’Ecrammeville et officier du roi en tant que secrétaire royal du grand conseil. Ce dernier vécut jusqu’en 1771 et fut inhumé à Ecrammeville à l’âge de 84 ans. Louis, le frère du jeune Jean de Baupte, resta attaché à Ecrammeville jusqu’à la Révolution française.

Les premières mentions de Jean de Baupte sur les registres de Moon ne datent que de la fin des années 1750. Il avait désormais 18 ans. Ainsi en février 1757, il fut le parrain de Jean François Henri Lepingard, qui adulte devint laboureur. Le grand-père Henri de Bauquet seigneur de Moon était-il alors décédé? Nous n’avons pu trouver la date de son décès. La dernière mention d’Henri de Bauquet sur un acte de Moon remonte à décembre 1741.

Jean de Baupte seigneur et patron de Moon

En avril 1767, le jeudi 4, Jean de Baupte et François de Grimouville seigneurs et patrons de Moon présidaient la cérémonie de la pose des pierres fondamentales du nouveau presbytère, celui de la cure de la grande portion de Moon. A cette époque, la paroisse de Moon avait deux cures : celle dite de la grande portion dont les Bauquet puis de Baupte étaient seigneur et patron; celle de la petite portion dite de la prébende qui relevait des chanoines du chapitre de la cathédrale de Bayeux et dont François de Grimouville se réclamait, comme seigneur et patron de Moon en la portion de la prébende au milieu des années 1760. Par le droit de patronage, le seigneur intervenait sur le choix du curé desservant l’église et exerçait des droits sur les revenus de la cure.

A partir de la fin des années 1770, Jean de Baupte, mentionné régulièrement dans les registres de Moon, est bien établi à Moon. Agé d’environ 40 ans, Il s’est marié vers 1778/80 (il manque les registres de Saint-Jean des Champs de 1778 à 1780) avec Antoinette de Clamorgan noble dame âgée d’environ 25 ans, originaire de Saint-Jean des Champs, une paroisse proche de Granville. Son nom figure également sur la pierre tombale du cimetière. Elle décéda le 4 mai 1748 à Moon à l’âge de 95 ans.

Le couple participait aux cérémonies officielles de la paroisse comme la bénédiction de la nouvelle croix du cimetière érigée en 1783 (1) ou la pose des fondations du presbytère de la cure dite la troisième portion ou prébende le 3 avril 1786 (1).

Croix du cimetière érigée en 1783, renversée une nuit lors de la Révolution (malveillance ou défaut d’entretien) selon le témoignage du curé de Moon de 1858 à 1874 Armand Née (3), renversée en 1860 par une tempête et relevée et embellie édifiée sur un degré en granit (4)
Presbytère de Moon : Fondations de 1767 et de 1786, la partie ouest reconstruite 2e moitié XIXe siècle et l’if à l’est.

Un seigneur rural

Jean de Baupte partageait les événements de la petite société de la paroisse. Ils furent souvent sollicités comme parrain et marraine par les familles de petits notables de la paroisse, comme celles de paysans aisés, appelés les laboureurs. Ainsi en 1760 il fut le parrain de Geneviève Levieux, en 1767 d’Henriette Le Canu fille de Denis Le Canu, en 1778 d’un fils de Guillaume Bouchard ou en 1785 d’une fille de Jacques Vérité. En 1782 il fut parrain de Jean Cauvelande, fils de François Cauvelande marchand toilier et tailleur. En 1758 il parrainait le fils de Jean Raoult, le custos (le sacristain) de la paroisse. Le couple fut présent en 1781 au mariage de Pierre Hue laboureur de Baudre et en 1790 à celui de Marie, fille de Charles Le Duc huissier, priseur vendeur de Moon.

Les domestiques du château pouvaient être honorés par la présence de leur seigneur patron lors de fêtes familiales. Le 13 février 1787 ils assistaient à la cérémonie de mariage de leur cuisinière, Marie Noblet qui épousa Philippe Le Vieux et ils parrainèrent la fille de cette domestique, Marie Jeanne, baptisée à Moon le 27 novembre 1787.

Le seigneur de Moon conservait des contacts étroits avec sa famille d’Ecrammeville, paroisse distante de 18 kilomètres. Il se rendit en 1782 à Asnières au mariage de son frère Louis de Baupte et à celui de Jacqueline de Baupte en mai 1770 à Ecrammeville. Il fut sollicité plusieurs fois pour parrainer : en mai 1770 pour la fille d’un laboureur d’Ecrammeville et en février 1784 pour le baptême de sa nièce Agathe de Baupte. En janvier 1785 ce fut sa femme Antoinette de Clamorgan qui devint marraine du neveu, Gustave de Baupte, futur baron de Moon

le parc du château (à gauche), l’Eglise, la maison de la Buissonnerie (au premier plan à droite), la maison de la Prébende (au second plan à droite)
Carte postale début XXe siècle : l’ancien chemin de Moon – Saint-Lô par Villiers-Fossard (église et cimetière à droite, maison de la prébende à gauche)

La Révolution française de 1789 et l’abolition des privilèges

Quelques jours avant la Révolution, le 1er juin 1789, est inhumée à Moon, la mère d’Antoinette de Clamorgan femme du seigneur de Moon, veuve âgée de 70 ans qui résidait à la fin de sa vie au château de Moon. Mais juin 1789 marqua aussi la mort d’un autre monde, celui de l’Ancien Régime.

Les députés du Tiers-Etat, convoqués en mai dans le cadre des Etats-généraux, en conflit avec le roi se proclamèrent Assemblée nationale. Le roi s’inclina et le 9 juillet 1789 il accepta qu’une Constitution fût élaborée. La prise de la Bastille, cinq jours plus tard, le 14 juillet, par le peuple parisien marqua la chute symbolique de la monarchie absolue. La colère des paysans contre les seigneurs et leurs

privilèges s’était enflée dans les campagnes en ce même mois de juillet. Face aux désordres, les députés décidèrent le 4 août d’abolir les droits féodaux et les privilèges du clergé et de la noblesse.

Lors de la convocation des Etats-Généraux, les trois ordres avaient rédigé des cahiers de doléances. Les 5, 6 et 7 mars 1789, en l’église Saint-Laurent de Torigni, avaient été lus les cahiers de doléances du Tiers-Etat des différentes paroisses du baillage de Torigni dont celui de Moon. Les habitants de Moon dénonçaient le poids des impôts en réclamant la suppression des taxes qui pesaient sur les denrées et les boissons et autres impôts, de la corvée personnelle, des dîmes et demandaient une répartition plus juste de l’impôt royal. Tout en demandant un vote par tête et non par ordre aux Etats-Généraux, ils réaffirmaient leur fidélité au roi, bon père du peuple français.

Les habitants de Moon dénonçaient particulièrement les dîmes prélevées sur les récoltes : « on fixerait aux curés un sort capable de les faire vivre et de secourir les pauvres. On rétablirait la confiance perdue par l’opposition des intérêts et tout rentrerait dans l’ordre prescrit par la religion et la morale» (8). Les curés desservants ne récupéraient qu’une petite partie de la dîme, dite la portion congrue, alors que les patrons de la paroisse, Jean de Baupte seigneur de Moon et Jacques Blasne, chanoine en 1789 du chapitre de la cathédrale de Bayeux, patron de la prébende de Moon, récupéraient l’essentiel. Or les habitants devaient assurer aussi l’entretien des bâtiments.

En 1784, le presbytère de la prébende plus que dégradé avait nécessité de lourds travaux de reconstruction pour un montant de 2000 livres. Les habitants de la paroisse avaient député François Piquenard pour les représenter. Ce dernier avait choisi comme expert Pierre Dupont architecte de la ville de Bayeux et le curé Léonord Villière avait retenu le sieur Durand architecte de la ville de Saint- Lô. Les deux architectes furent chargés de faire «un rapport de l’état des choses … et procéder au devis estimatif des ouvrages à faire » (5). Les fondations du presbytère furent posées en avril 1786 en présence du seigneur de Moon. Le coût élevé de ces travaux pouvaient expliquer une part du ressentiment de la population qui versait les dîmes annuelles, celles-ci amputant leurs récoltes. D’ailleurs Léonord Villière, curé de la prébende renonça à la reconstruction de l‘écurie qui se montait à 400 livres supplémentaires.

Le seigneur de Moon possédait un colombier, ce droit de colombier était un privilège réservé à la seule noblesse. Les pigeons cherchaient leur nourriture dans la campagne environnante au détriment des paysans. Il possédait également le moulin de Moon affermé à un meunier et disposait sûrement d’un droit de mouture. Selon la coutume, le paysan du village devait verser useizième de ses grains pour les faire moudre.

Malgré le décret de juin 1790 portant sur la suppression des titres de noblesse, le prêtre Laurent Simon qualifiait toujours en mars 1791 Jean de Baupte de messire seigneur de Moon et Antoinette de Clamorgan de noble dame. Pourtant l’ancien seigneur de Moon n’était plus patron de la paroisse de Moon et les dîmes, droits féodaux étaient supprimés.

Les notables des communes, nouvelles autorités de la commune

En mai 1791, les deux prêtres de Moon, Laurent Simon curé de la grande portion depuis 1772 et Léonore Villière curé de la petite portion dite de la prébende furent destitués et durent quitter la paroisse. Ils avaient refusé de prêter serment de fidélité, devant la municipalité, à la Nation et à la nouvelle Constitution. Selon le rapport du district de Saint-Lô, en date du 19 avril 1791, ce serment, exigé depuis février 1791, n’avait toujours pas été prêté à Moon comme dans 46 autres paroisses du district. Ce fut Georges Léonord Lefoulon prêtre constitutionnel, âgé de 38 ans, qui les remplaça en mai 1791 comme curé unique de la paroisse. Pour l’assister, un vicaire du nom de Jean-Baptiste Douchin âgé de 27 ans fut désigné quelques mois plus tard.

Jean de Baupte perdit également son autorité sur la paroisse de Moon en 1790 au profit de la municipalité érigée en 1790, constituée d’un bureau de 6 membres élus par les seuls les citoyens payant l’impôt, et complété par un collège de 12 notables et d’un procureur syndic. Le pouvoir passa entre les mains des notables de la paroisse désormais appelé commune. Nous retrouvons notamment les laboureurs, paysans aisés, et les vieilles familles de Moon comme les Cauvelande, Delalande, Le Canu ou Vérité. Or certains de ses notables fréquentaient le cercle rapproché du seigneur de Moon.

Si nous ne connaissons pas les premiers officiers municipaux élus en 1790-91, à l’exception de Jean Lepelley laboureur, ni le premier maire, nous avons par contre les noms des officiers municipaux en place de 1792 à 1794. Firmin Lefèvre, laboureur âgé de 49 ans occupait la fonction de maire.

Les autres membres qui dirigeaient la municipalité des débuts de la République furent : – 1) outre le maire Firmin Lefèvre – 2) Jean Delalande âgé de 51 ans laboureur – 3) Henry Vérité meunier et cultivateur âgé de 35 ans, qui était présent au mariage de la cuisinière du château aux côtés de la famille du seigneur de Moon en 1787 et dont un membre de sa famille, Jacques Vérité, avait choisi pour le baptême de sa fille Marie Jeanne le seigneur de Moon comme parrain – 4) Jacques Picquenard laboureur âgé de 48 ans – 5) Michel André tisserand, custos (sacristain) de Moon âgé de 52 ans – 6) le nouveau prêtre assermenté Georges Lefoulon. Enfin le procureur syndic François Cauvelande marchand toilier et tailleur, était chargé de défendre les intérêts de la commune et de poursuivre les affaires en cours. Son fils Jean Cauvelande né en 1782 avait aussi pour parrain le seigneur de Moon.

Les municipalités et la Garde nationale

Elles étaient chargées de collecter le nouvel impôt, la contribution foncière, en établissant la liste des contribuables. Elles tenaient également les registres d’état-civil retirées aux prêtres en 1792.

A partir de 1792 le processus révolutionnaire s’accéléra avec la proclamation de la République, l’exécution du roi et la guerre contre la coalition des rois d’Europe. La Patrie proclamée en danger en 1792, la Terreur fut mise à l’ordre du jour en été 1793. Les municipalités furent chargées de répartir les réquisitions : grains, farines, chevaux … et exercèrent des fonctions de police et de sûreté générale.

Denis Le Canu laboureur âgé de 54 ans fut nommé capitaine de la Garde nationale de Moon, assisté d’Hippolyte De Closmesnil cultivateur âgé de 29 ans nommé sergent de cette Garde. Denis Le Canu occupa aussi fin 1793 la fonction d’Agent municipal et à ce titre représenta la commune au siège du canton qui formait la vraie municipalité lors de la mobilisation révolutionnaire. Henriette Le Canu, fille de Denis Le Canu née en 1767, avait pour parrain Jean de Baupte, tout comme Hippolyte De Closmesnil avait pour parrain Hypolite de Grimouville de la famille de Charles de Grimouville seigneur de Moon en la portion de la prébende.

Quant au secrétaire greffier élu, il devait tenir les registres de certificats de résidence. Louis Le Clerc âgé de 36 ans cultivateur, futur maire de la commune en 1800-06, occupa la fonction. Les biens du clergé furent confisqués par l’Etat et vendus. Louis Le Clerc, laboureur, devint propriétaire de la ferme et de la terre de la prébende, ancien bien relevant du chanoine du chapitre de la cathédrale de Bayeux.

La Patrie en danger et la Terreur, émeute à Moon le 8 juin 1794

Pour défendre la Patrie et la Nation, chaque commune dut fournir avec la levée en masse de 1793 un contingent d’hommes, soit volontaires, soit tirés au sort parmi les hommes de plus de 18 ans non mariés. Pierre Pouchin, âgé de 20 ans, qui avait perdu son père, journalier, à l’âge de 3 ans, se porta volontaire. Combattant dans le 2e bataillon des volontaires nationaux de l’Armée de Sambre et Meuse victorieuse en Belgique au cours de l’été 1794, il fut blessé en février 1795 et décéda le 1er mars 1795 à l’hôpital militaire de Bruxelles. Nous retrouvons également d’autres formes de patriotisme : le 19 juin 1793 Françoise Tirard, originaire de Vassy, résidant à Moon, donna naissance à un fils, un enfant naturel, prénommé François et nommé Républicain (7).

Dans un contexte de vie chère et de disette, les réquisitions pour l’effort de guerre provoquèrent mécontentements et colères. L’historienne Madeleine Deriès rapporta qu’à Moon, le 20 prairial an II (8 juin 1794) des manifestations séditieuses eurent lieu à Moon. Des citoyens et des citoyennes s’étaient précipités vers l’église transformée en temple de l’Eternel et menacèrent les autorités locales

« bougre de municipalité, tu nous laisses mourir de faim après nous avoir fait porter nos blés à Saint- Lô. Si tu n’avais pas déjeuné, tu ne chanterais pas » (8). Le 26 prairial (14 juin 1794), informé de ces faits par un procès-verbal du comité révolutionnaire de la commune, le conseil du district de Saint-Lô ordonna l’arrestation des coupables et leur incarcération à la maison d’arrêt de Saint-Lô. On les renvoya ensuite chez eux, sous la surveillance des autorités de Moon, car leur excitation était causée par la faim. Depuis quelques jours ils n’avaient mangé que des choux mêlés avec de la farine de sarrasin.

Une campagne de déchristianisation

Elle fut lancée par le gouvernement révolutionnaire contre l’Eglise. Le calendrier républicain remplaça le calendrier grégorien, le décadi remplaçant le dimanche, Saint-Clair de l’Elle était renommé Clair- Bocage. Le mariage devint d’abord un acte civil consenti devant le maire. Le 5 vendémiaire de l’an III (26 septembre 1794) fut enregistré à l’état-civil le premier divorce de la commune, celui de Jeanne Cudrüe abandonnée par son mari depuis huit ans.

Estampe, anonyme, 1794 (BNF)

Comme d’autres églises, l’église de Moon fut fermée au culte catholique avant le 10 germinal An II (30 mars 1794) (8). Le 20 prairial an II (8 juin 1794), la fête nationale en l’honneur de l’Etre suprême fut célébrée dans l’église de Moon désormais appelé temple de l’Eternel en présence de la municipalité. C’est ce jour qu’éclata l’émeute de la faim à Moon citée plus haut. L’église servait de lieu de réunion pour les autorités. La République voulait remplacer la morale chrétienne par une morale civique.

Dans les campagnes le culte catholique restait encore célébré notamment côté Calvados à Lison, Sainte-Marguerite, L’Epinay, La Haye d’Ectot où les foules étaient nombreuses. La liberté de culte fut rétablie le 21 février 1795 et les églises rendues au culte catholique: celles de Moon et Saint-Clair ré- ouvrirent le 11 floréal An III soit le 30 avril 1795 (8). » L’intérieur de l’église ne fut dévasté ni souillé par les décades, …, en un mot l’église fut respectée. Un nommé Pierre Pouchin, qui était enfant de choeur

avant la Révolution, me dit que ses parents demeurant dans le voisinage de l’église, il était chargé par l’officier civil, Julien Demagny, d’ouvrir et de fermer l’église, de la tenir propre et bon état … » (3). Par contre « la petite cloche fut descendue de la tour et envoyée partager le sort de tant d’autres » (3). Le gouvernement révolutionnaire dans le contexte de la Patrie en danger avait fait réquisitionner en 1794 les métaux. Selon l’arrêté du Représentant en mission, J.-B. Lecarpentier, les cloches devaient être envoyées aux fonderies de Rennes, Villedieu ou Saint-Lô.

Utilisation du calendrier révolutionnaire : « 1804 – je été faite faire l’an 12 de la République par Raphaël Lepetit+M.Ctl », inscription au-dessus de la porte d’entrée, maison située au carrefour Pomme d’Or.

Comment le seigneur de Moon a t’il traversé cette période révolutionnaire ?

Les mesures d’exception avec la Terreur de 1793/94 frappèrent les opposants à la Révolution : royalistes, nobles émigrés, prêtres réfractaires. La loi des suspects de septembre 1793 permettait de les traduire devant le Tribunal révolutionnaire.

Aux yeux de la Révolution, Jean de Baupte pouvait apparaître comme un suspect contre- révolutionnaire : il était noble et son frère était un Emigré.

Le général républicain Hoche à la bataille de Quiberon en 1795 (peinture de Charles Porion 1879)

Son frère Louis de Baupte, chevalier de Baupte (1741- 1795), officier de canonniers, avait émigré fin 1791 ou début 1792 pour rejoindre les armées royalistes campées sur le Rhin. Ce frère Louis de Baupte combattit alors les troupes de la République sur le Rhin. Après la défaite des royalistes en 1794, il participa en juin-juillet 1795 au débarquement royaliste à Quiberon avec l’appui de la marine anglaise. Ce débarquement échoua. Fait prisonnier, Louis de Baupte fut fusillé par les républicains avec 747 autres royalistes.

D’autre part, en mars 1791 le seigneur de Moon, Jean de Baupte parrainait avec sa femme en l’église de Moon une petite cousine Anne Le Conte de la Varangerie née le 8 juin 1790 à Rouen et nommée Modeste, Jeanne. Le père, Claude-Adrien Le Conte de la Varangerie, capitaine d’armée et royaliste s’était porté volontaire avec 610 autres personnes, comme otage et garant pour le roi Louis XVI après l’échec de la fuite du roi stoppée à Varennes en juin 1791. Elle perdit son père à l’âge de 3 ans, décédé en 1793. Par la suite elle fut hébergée chez son cousin le seigneur de Moon. En 1815, lors de son mariage, elle était résidente à Moon de droit.

A la différence de son frère, le seigneur de Moon ne figura pas sur les listes d’Emigrés dressées par la République en 1793. Jean de Baupte, âgé de 54 ans en 1793, a dû obtenir un certificat de résidence délivré par la municipalité comme preuve de sa loyauté et éviter ainsi d’être poursuivi par le Tribunal révolutionnaire et de voir ses biens confisqués par la République.

Il avait une résidence en ville à Saint-Lô où nous le trouvons présent, comme indiqué en 1803 ou 1804 sur le registre d’Etat-civil de Moon, mais il demeurait aussi en son château de Moon comme en 1806 ou 1807 (7). En 1812 il y vivait de son bien, propriétaire du château, du moulin de Moon et de près de 60 ha de terres sur la commune de Moon.

Jean de Baupte cultivait ses relations avec le cercle des petits notables de Moon, laboureurs, propriétaires, souvent à la tête des nouvelles municipalités marquant de sa présence leurs cérémonies familiales comme baptêmes, mariages ou inhumations. En 1806 sa jeune cousine et filleule Modeste Jeanne Lecomte de la Varangerie qu’il hébergeait et élevait, devint la marraine de la fille du maire de Moon Charles Busquet, maire de 1806 à 1815, baptisée Modeste Jeanne. En juin 1814, il était présent avec sa femme et sa filleule au mariage de la fille du maire, Marie-Madeleine Busquet.

Après le départ du curé constitutionnel Georges Foulon en novembre 1803 pour Saint-Jean de Savigny, Jean de Baupte hébergea le nouveau prêtre en sa terre de Moon, Jean Boivin, curé desservant de Moon qui décéda peu de temps après, le 22 décembre 1803 (10). L’ancien seigneur de Moon affirmait ses liens avec cette église qui reprenait toute sa place après le Concordat de 1801 signé entre la Papauté et Napoléon. Il était marguillier de l’église de Moon, c’est-à-dire membre du conseil de fabrique chargé de la gestion de l’église et des biens de la paroisse.

En 1810, le 4 juin, la tradition reprenait pleinement ses droits avec la bénédiction de la cloche de l’église nommée Antoinette Jeanne, par Dame Antoinette Marie Jeanne de Clamorgan et Jean de Baupte son mari, en présence du maire Charles Busquet et du prêtre Jean-François Marie. Cette cloche fondue le 25 avril 1810 pesait 1000 livres (500 kg) ; une tradition respectée, comme l’avait fait son grand-père, Henri Bauquet seigneur et patron de Moon, et sa grand-mère Marie de Grossourdy le 22 mai 1726. La grosse cloche de l’église bénie à l’époque portait le nom de baptême de Marie. Rappelons-nous qu’ensuite, sous la Révolution en 1794, la cloche avait été descendue de la tour pour être fondue et faire des canons.

Si l’ancien seigneur de Moon a vu la première Restauration monarchique en 1814-15 pendant l’épisode des Cent-jours, avec le retour de Louis XVIII, frère de Louis XVI, il ne verra pas la défaite définitive de Napoléon 1er à Waterloo, il décéda un mois avant, le 15 mai 1815 à Moon à l’âge de 76 ans. Le lendemain plusieurs curés participèrent à son inhumation : curés de Moon, Saint-Clair, Airel, La Meauffe, Lison et Sainte-Marguerite notamment (10).

Sa femme Antoinette de Clamorgan vivant de son bien, dame de Moon vivant au château, décéda 33 ans après, le 4 mai 1848 à l’âge de 95 ans.

Gilbert Lieurey

Sources :

  • Registres Baptêmes-Mariages-Sépultures de la paroisse de Moon (Archives départementales de la Manche 5 Mi 1537) – 1737/1750, 1719/1790
  • Registres     Baptêmes-Mariages-Sépultures      de     la     paroisse     d’Ecrammeville     (Archives départementales du Calvados) – 1692-1792
  • Les églises du département de la Manche de 1750 à 1820 tome II, docteur Michel Guibert, 2011
  • Le cimetière de Moon Jacky Brionne 2019
  • Registre Baptêmes-Mariages-Sépultures de la prébende de la paroisse de Moon (Archives départementales de la Manche 5 Mi 1537) –1719/1790 pages 237 …
  • Registre des délibérations du conseil municipal de Moon (1828 – 1833), mairie de Moon-sur-

Elle

  • Registres Baptêmes-Mariages-Sépultures de Moon puis d’Etat-civil (Archives départementales de la Manche 5 Mi 1538) – 1781/1795 ; 1801/1812 ; 1813/21
  • L’histoire du district de Saint-Lô pendant la Révolution (1787-an IV), Madeleine Déries – 1922
  • Plan cadastral et matrices cadastrales (1811-13) Mairie de Moon-sur-Elle
  • Registre de catholicité de Moon 1803/1880 (Archives départementales de la Manche 6 Mi 128