2 mai 1921, terrible accident automobile à Moon-sur-Elle

2 mai 1921, terrible accident automobile à Moon-sur-Elle

19 septembre 2023 0 Par Gilbert LIEUREY

Les ingénieurs M. Thézard, de Valognes, et M. Féron, de Neuilly-sur-Seine, ont trouvé la mort ce lundi soir au pont de Moon-sur-Elle.

Stèle en granite sur le chemin de descente vers la ferme de la Vallée, en mémoire d’Henri Féron victime de cet accident : « Henri Féron ingénieur EBP, décédé accidentellement ici le 2 mai 1921 – Priez pour lui »

Fiche : résumé de l’article

M onsieur Divetain, mécanicien à Cherbourg, accompagnée de sa femme et de son chauffeur était parti de Saint-Lô en automobile pour déposer M. Thézard et M. Féron à la gare de Lison. Le train pour Paris était prévu à 20h 19.  Arrivés sur Moon, l’automobile fit une embardée au pont de Moon et fut projetée par-dessus le parapet. Les ingénieurs éjectés de la voiture furent tués et Mr Divetain grièvement blessé.

M. Thézard, ingénieur civil, avait été désigné par le Tribunal de commerce de Cherbourg pour expertiser un véhicule, mis sous séquestre à l’Hôtel de Normandie. M. Féron, ingénieur civil, âgé de 44 ans, vint assister à l’expertise.

Une enquête ouverte par la gendarmerie

La gendarmerie de Saint-Clair mena l’enquête sur les circonstances de l’accident. La forte embardée de la voiture fut consécutive à un coup de volant donné après l’éclatement du premier pneu avant, puis un freinage puissant provoqua l’arrachement des deux pneumatiques des roues arrières.

Le chauffeur inculpé d’homicide par imprudence, fut jugé par Le Tribunal correctionnel de Saint-Lô qui siégea un an après les faits, en juin 1922. La responsabilité du chauffeur fut retenue par le tribunal.

Article

L’accident relaté par la presse locale : l’Avenir du Bessin et du Cotentin et le journal d’Isigny réunis du 13 mai 1921 (1)

« Voici de nouveaux détails que nous avons obtenus sur le terrible accident qui … a couté la vie à deux ingénieurs français.

Dernièrement M. Thézard, 55 ans, diplômé de l’Ecole Centrale de Paris, demeurant à Valognes, en sa qualité d’ingénieur, avait été commis comme expert par le tribunal de Cherbourg, pour examiner une voiture automobile, marque Zèbre, vendue par M. Divetain, garagiste à Cherbourg, à une demoiselle de Cerisy-la-Salle, automobile ayant certains vices de construction aux dires de l’acheteuse. L’expertise avait été fixée au lundi 2 mai. M. Thézard, le matin de ce jour, avait donc pris le train jusqu’à Saint-Lô pour s’y rendre. D’autre part, étaient venus en auto de Cherbourg, à bord d’une assez forte voiture brune – une Berliet 16 chevaux – qui devait capoter au retour, M. et Mme Divetain de Cherbourg, et leur chauffeur Albert Lecomte, 23 ans. Un autre ingénieur de Paris, M. Féron ancien agent de la maison « Zèbre » originaire de Dijon, demeurant à Neuilly-sur-Seine, était également présent à l’examen de la voiture automobile, objet du litige.

L’expertise finie, comme M. Féron tenait à reprendre le train sur Paris passant en gare de Lison vers les 8 heures du soir, M. Divetain invita l’ingénieur à monter dans sa voiture automobile pour le conduire jusqu’à la gare de Lison où il devait également prendre le train pour Lyon et fit la même proposition à M. Thézard, que son chauffeur devait déposer à Valognes, puisqu’il rentrait à Cherbourg en auto.

Cinq personnes se trouvèrent donc montées dans l’automobile. En avant, le chauffeur et Mme Divetain ; en arrière, MM. Thézard, Féron et Divetain. Puis on se mit en route pour la gare de Lison, au grand enchantement des voyageurs heureux de goûter la fraîcheur du soir.

Un accident devait se produire à trois kilomètres de Lison, à Moon, par suite de l’éclatement de trois pneus de l’automobile et occasionner la mort de MM. Thézard et Féron, et les blessures des autres voyageurs (…). Un docteur donna les premiers soins aux trois blessés et ne put que constater les décès de leurs compagnons, que l’on transporta dans une grange. Des habitants offrirent avec le plus louable empressement l’hospitalité au conducteur et à M. et Mme Divetain. Deux d’entre eux prêtèrent leur lit et veillèrent les blessés.

Une auto-ambulance venant de Cherbourg passa le lendemain midi à Isigny et se dirigea sur Lison. Les trois blessés purent ainsi regagner Cherbourg. Leur état n’inspire plus d’inquiétude. Leur reconnaissance dans la soudaine épreuve qui vient de les frapper va aux braves gens de Moon-sur-Elle qui leur ont prodigué les soins les plus empressés.

L’accident s’était produit à 8 heures moins vingt du soir, c’est-à-dire avant la nuit. On dit que le virage de Moon-sur-Elle a déjà provoqué des accidents. Un notaire passant en cet endroit, il y a une quinzaine de jours, fit un terrible saut dans la rivière.

Les obsèques de M. Thézard ont eu lieu au milieu d’une foule considérable, à Valognes, samedi dernier 7 mai. L’inhumation de M. Féron a eu lieu à Neuilly-sur-Seine.

Cet accident a produit une très vive émotion dans toute notre région et aussi à Cherbourg et à Valognes où les victimes   sont honorablement connues. « 

Le virage du pont de Moon au bas de la descente, à l’entrée de la commune, en venant de St-Lô.

Une enquête ouverte par la gendarmerie

M. Thézard ingénieur civil avait été désigné par le Tribunal de commerce de Cherbourg pour expertiser le véhicule, le Zèbre, mis sous séquestre à l’Hôtel de Normandie. La voiture avait été vendue par M. Divetain garagiste de Cherbourg, représentant de cette marque, à Mlle Guillard de Cerisy-la-Salle. M. Féron, ingénieur civil, âgé de 44 ans, vint assister à l’expertise.

Le Zèbre était une petite voiture économique, fiable et robuste, très populaire avant la guerre. Elles furent très utilisées pendant la guerre comme véhicule de liaison.

Le Zèbre type C 2 places, modèle de 1913, qui pouvait atteindre 60Km/h

La marque avait été créée en 1909 par Jules Salomon et Jacques Bizet. Par leur prix abordable et leur robustesse, ces voitures obtinrent un franc succès. Le slogan « le Z va trois fois plus vite que le cheval et mange trois fois moins ». Mais après la guerre, la marque déclina, ses fondateurs s’étaient séparés et l’entreprise ferma en 1931.

Le soir du 2 mai 1921, après l’expertise, les deux ingénieurs décidèrent de repartir chez eux. Ils montèrent dans la Torpédo de Mr Divetain, une Torpédo Berliet 14 HP brune, pilotée par son chauffeur Albert Lecomte, âgé de 23 ans, pour rejoindre la gare de Lison.

Affiche publicitaire de 1920

Au pont de Moon, un pneu avant éclata, le chauffeur freina brusquement et le véhicule bascula par-dessus le talus de la route dans le petit chemin qui mène à la ferme de la Vallée. Les deux ingénieurs assis à l’arrière furent projetés hors de la voiture et tués. Mr Divetain, le garagiste, assis à l’arrière fut également projeté dans le jardin et blessé gravement, avec des lésions internes et des fractures au poignet et à l’épaule gauche. Le chauffeur passa à travers le pare-brise et n’eut que des contusions superficielles. Quant à Mme Divetain, elle fut prise sous la voiture renversée, et eut une grave blessure à l’œil. Le docteur Rondel, maire de Saint-Fromond, prodigua les premiers soins. M. et Mme Divetain blessés furent transportés au domicile de Mme Folliot.

Ils relevèrent des traces de l’auto avant l’éclatement du premier pneu

La gendarmerie de Saint-Clair avec le gendarme M. Lemoigne et le brigadier Gloro, mena l’enquête sur les circonstances de l’accident. Ils relevèrent des traces de l’auto avant l’éclatement du premier pneu. La voiture était trop à gauche et n’a pas pris la corde pour attaquer le virage du pont. La forte embardée de la voiture fut consécutive à un coup de volant donné après l’éclatement du premier pneu avant, puis un freinage puissant provoqua l’arrachement des deux pneumatiques des roues arrière. Le virage était jugé suffisamment relevé et pouvait être pris assez vite sans danger, à la condition de serrer la corde. Ce constat engagea une responsabilité du chauffeur.

Le chemin de la ferme de la Vallée, en contrebas de la route Saint-Lô – Lison, la borne commémorative est située sur la gauche.

Le chauffeur inculpé d’homicide par imprudence

Le Tribunal correctionnel de Saint-Lô siégea un an après les faits, en juin 1922 pour juger l’affaire. Quatre heures de débat au cours desquels le chauffeur réaffirma qu’il avait ralenti et appuyé à droite pour prendre le virage. L’éclatement du pneu avant l’avait rejeté sur la gauche et l’avait contraint à freiner brutalement. Avec l’éclatement des pneus arrière, il n’était plus maitre de son véhicule. M. Robert Divetain, le garagiste, affirma également que la voiture allait à une vitesse régulière.

La partie civile avec Me Thomine déposa au nom de la mère de M. Féron, qui était célibataire, une demande de 58 000 francs de dommages-intérêts.

M. le Procureur demanda l’application de la loi pénale contre le chauffeur, M. Lecomte, auquel il reprocha sa vitesse excessive, son freinage trop brusque et sa position trop à gauche.

Le tribunal prononça son jugement huit jours après les débats. Le chauffeur M. Lecomte fut condamné à 1 000 francs d’amende et son patron, M. Divetain, à 15 000 francs de dommages-intérêts, civilement responsable de son employé.

Sources :

1-l’Avenir du Bessin et du Cotentin et le journal d’Isigny du 6 au 13 mai 1921 (lot 1 page 75, Archives départementales du Calvados numérisées) et du 13 au 30 mai 1921 (lot 1 page 79).

2- l’Avenir du Bessin et du Cotentin et le journal d’Isigny du 30 juin au 7 juillet 1922 (page 115, Archives départementales du Calvados numérisées) et du 7 au 14 juillet 1922 (page 120).

                                                                                   Gilbert Lieurey