Histoire des écoles de Moon-sur-Elle (1760-1881)

Histoire des écoles de Moon-sur-Elle (1760-1881)

13 avril 2022 2 Par admin7166

Quelle est la plus ancienne mention connue d’un maître d’école à Moon ?

La plus ancienne mention d’un maître d’école à Moon remonte à 1760, celle de Germain Lagoüelle

Germain Lagoüelle était né à Cerisy l’Abbaye (aujourd’hui la Forêt) le 26 février 1728. Il s’installa à
Moon en 1854 après avoir épousé à l’âge de 26 ans, le 18 juin, Anne Damemme issue d’une vieille
famille de Moon. Ils eurent 4 enfants, 3 filles Marie Anne en 1755, Jeanne en 1760, Françoise en 1764
et un garçon Jean en 1756 qui décéda à l’âge de 5 ans. Encore journalier en 1755, il exerçait la fonction
de maître d’école en 1760, et l’était encore 20 ans plus tard, en 1780. Il termina sa vie à Moon, au
village la Croix de Moon, où il décéda à l’âge de 69 ans le 18 mars 1797. Sa femme Anne décéda en
1814 à l’âge de 94 ans.

Arrivé à Moon, Germain Lagoüelle était pourtant de condition bien modeste. Il était journalier, et lors
de son mariage en 1754 son père Jean, journalier également, ne savait pas signer. Germain par contre
avait une très belle écriture et signait avec un paraphe (signe pour montrer son ascension sociale) ;
une très belle calligraphie qu’il a transmise à ses filles. D’où venait son degré d’instruction ?

Signature de Germain Lagoüelle avec paraphe (à droite), de sa fille Marie Anne âgée de 16 ans (à gauche), de Léonard Villière curé et de Jean Raoult, le custos(sacristain), en 1771

Son mariage lui avait permis d’intégrer la société des petits notables du village de Moon. Sa belle famille était liée aux Groult, dont plusieurs branches roturières à Moon avaient pris le titre de sieur au XVIIe comme ceux de la Cointerie, de la Duranderie, des Rivières ou de la Planche. Son beau-père était laboureur

(paysan aisé) et les témoins de son mariage, Jean et Michel Vérité, appartenaient à une
famille de laboureurs et de meuniers sur le moulin de la Planche. Jean Vérité fut le parrain de son fils.
Le fils de Michel Vérité, Henri, meunier et laboureur fut même élu officier municipal de la nouvelle
commune de Moon créée après la Révolution de 1789.

Selon les registres paroissiaux, une autre famille compta pour Germain Lagoüelle, celle de François
Cavelande, né à Moon en 1733, qui exerçait le métier de marchand toilier et de tailleur. Germain fut
le parrain d’un fils Cavelande en 1780, et la femme de François Cavelande fut la marraine de la petite-fille de Germain Lagoüelle en 1789. Ce fut François Cavelande qui résidait au même village de la Croix
de Moon, qui vint déclarer en mairie le décès de Germain Lagoüelle en 1797. Lors de la Révolution de
1789, François Cavelande fut aussi un élu de la nouvelle commune de Moon, avec pour fonction celle
de procureur syndic de la commune, chargé de défendre les affaires de la commune. Il décéda en 1804

Quel rôle jouèrent les petites écoles paroissiales, sous l’Ancien Régime (avant 1789) ?

Au XVIIIe siècle, les rudiments de l’apprentissage de la lecture,
du catéchisme, de l‘écriture et du calcul étaient dispensés dans
des écoles paroissiales, sous le contrôle de l’église.
Progressivement au XVIIIe siècle, le prêtre ou le vicaire
n’assurèrent plus directement l’instruction, alors un contrat
pouvait être signé entre un laïc et la communauté des
habitants et le curé, qui prévoyait la durée de fonction, le
logement et le financement du maître. Le maître était payé par
les familles, soit en argent, soit en nature, ce dernier cas étant
le plus fréquent. Parfois s’y ajoutaient des donations de
bienfaiteurs.

Selon les historiens, la situation du maître était bien souvent décrite comme précaire, voire proche du
dénuement. Les maîtres souvent peu instruits, mais contrôlés par le clergé, devaient être de bonne
moralité. L’apprentissage de la lecture se faisait à partir des livres de prières en latin, comme la Bible.
L’Eglise avait besoin d’enfants de chœur. L’instruction primaire servait d’abord à développer la
catéchèse et la fréquentation des offices religieux.

Des progrès de l’instruction au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle à Moon

L’alphabétisation apportée par cette petite école de Moon sous la houlette de Germain Lagoüelle
peut-elle être mesurée ? La capacité pour un(e) marié(e) de signer son acte de mariage a été retenue
par les historiens comme un critère, mais sans avoir la certitude de leur capacité à lire et écrire.

Un net progrès est enregistré. Dans la première moitié du XVIIIe, sur les 100 mariages célébrés à Moon
entre 1721 et 1740, à peine un jeune homme sur 2 originaire de Moon savait signer (48 %). Dans la
seconde moitié du XVIIIe sur les 93 mariages célébrés entre 1771 et 1790 un peu plus de 3 jeunes
hommes de Moon sur 4 savaient signer (76.6 %).

Lorsque nous connaissons l’origine sociale, nous constatons que les analphabètes à la veille de la
Révolution française étaient d’abord des domestiques, des journaliers et des potiers.

Quelle scolarisation des femmes ?

Quant aux jeunes femmes originaires de Moon, la situation fut beaucoup plus difficile. Nous constatons
qu’entre 1721 et 1740, moins d’1 femme sur 6 savait signer (17.5 %) et entre 1771 et 1790 la
proportion atteignait seulement un peu plus de la moitié (55.7 %). Les petites écoles au XVIIIe siècle
s’adressaient d’abord aux garçons.

Entre 1721 et 1740, la seule mariée sachant signer avec paraphe était la fille héritière du seigneur de
Moon, Marie Bauquet. Des progrès furent toutefois constatés à la fin du siècle, surtout au cours de la
décennie des années 1780 où les trois quarts des mariées furent capables de signer.

Quel local pour la petite école de la paroisse de Moon?

Ce local était situé dans le village de la Croix de Moon. En 1833, le conseil municipal convenait que « le
sort de l’instituteur était peu raisonnable … tant sur le rapport de la solidité, de l’étendue et de la
salubrité du local» mais renouvela le bail avec Mme veuve Louis Castel pour un montant de 60 francs
annuels. Madame Castel était propriétaire de la parcelle du Jardin au Boursier qui abritait donc l’école.

Essai de reconstitution du village de Moon au XVIIIe siècle. Le village implanté au bord de l’eau, l’Elle, au pied du coteau nord, bénéficiait d’un bon ensoleillement. Il fut édifié au carrefour de plusieurs chemins (d’où son nom de village de la Croix de Moon) avec les chemins venant de Saint-Lô par Le Mesnil Rouxelin Villiers-Fossard, celui de Cerisy (la Forêt) allant vers Airel, le Bourguais – Neuilly (la Forêt) – Isigny qui suivait la vallée de l’Elle. La construction de la nouvelle route Saint-Lô Isigny fin XVIIIe-début XIXe siècle (non figurée) enclava le village au fond de la vallée. Les nouvelles constructions se développèrent alors le long de la nouvelle route comme celle de la nouvelle école en 1843.

Avec La loi Guizot de 1833 qui obligeait les communes de plus de 500 habitants à entretenir une école
communale, la construction d’une maison-école et mairie devenait une nécessité. Le préfet informa
le conseil dès février 1834 que le local « obscur, placé dans une position peu salubre, et le mobilier
scolaire en mauvais état » devait être remplacé par une construction neuve. Le préfet pressa le conseil
d’avancer sur le dossier, il a fallu 10 ans, demandant un projet qui se limitait à la seule maison école
et mairie, réclamant davantage de « zèle » dans l’investissement financier de la commune (les plus
hauts imposés refusèrent le vote voulant supprimer le premier étage) et dans les démarches pour
l’acquisition du terrain (le Préfet estimait que le bord de l’Elle était trop dangereux).

Le devis retenu fut présenté en novembre 1838 par l’architecte Queillé de Saint-Lô (coût total de 5 501
francs en 1843) et le terrain fut choisi en décembre (pièce du Jardin du Bas au bord de la nouvelle
route Saint-Lô – Isigny pour 1 100 francs). L’Etat donna alors son accord en octobre 1840 (800 francs
de subvention) et le marché fut lancé en février 1841. La réception des travaux fut faite en mai 1843.
Avec 10 bancs et 10 tables de 2.70m de long, moitié filles, moitié garçons, la salle de classe pouvait
contenir 50 élèves (5 encriers par table).

Quelle école au XIXe siècle ? Les premières lois

Les événements de la Révolution désorganisèrent les petites écoles communales existantes. Napoléon
décida alors de confier les écoles communales à l’Eglise. Après la mort du maître d’école Germain
Lagoüelle en 1797, Georges Foulon prêtre constitutionnel nommé à Moon en 1791, membre de la
municipalité, tint les fonctions de maître d’école en 1798. Parti comme prêtre à Saint-Jean de Savigny
en 1802, nous retrouvons comme maître d’école en 1804 et 1806 Aimé Lefèvre âgé de 20 ans, fils de
Firmin Lefèvre, ancien maire de Moon de 1792 à 1794. Ensuite Aimé Lefèvre s’est établi comme
cultivateur à Moon. Au début de 1804, Jean Cavelande âgé de 22 ans fut mentionné comme maître
d’école. Il était le fils de François Cavelande un proche et voisin de Germain Lagoüelle au village la Croix
de Moon. A son baptême en 1782, son parrain et sa marraine étaient les seigneurs de Moon.

Dans la première moitié du XIXe siècle, à partir de 1817, des instituteurs furent nommés régulièrement
à Moon. L’ordonnance royale de 1816 organisa l’école primaire dans chaque commune. Des comités
cantonaux de l’instruction publique furent créés pour surveiller les écoles afin de veiller au maintien
de l’ordre des mœurs et de l’enseignement religieux. Le comité de l’instruction publique du canton de
Saint-Clair fut constitué de 7 membres : le juge de paix, 3 maires et 3 curés dont le doyen curé de Saint-Clair. L’une de leurs préoccupations premières fut de recruter des instituteurs.

Liste des instituteurs à Moon au XIXe siècle

1817 à 1819


Pierre Gourdier, âgé de 26 ans

1819 à 1826

Léonord Poullain âgé de 18 ans, originaire de Saint-Aubin des Losques, fils de
cultivateur, il se maria en janvier 1822 à Moon avec Victoire Lepingard, fille de
Guillaume Lepingard cultivateur. Ils eurent à Moon 2 filles Cécile en 1824 et
Léontine en 1826. Ils s’installèrent à Longueville (14) en octobre 1826.

1826 à 1837

Jean Baptiste Gislet âgé de 20 ans, originaire de Baudre, fils de laboureur,
marié à Sophie Gislet, il décéda à Moon en juillet 1837 à l’âge de 31 ans.

1837 à 1851

Jean Robin âgé de 20 ans, fils de cultivateur originaire du Mesnil-Vigot, il se
maria à Moon en 1839 avec Jeanne Castel, fille de la veuve Castel aubergiste
et propriétaire du local de l’école. Ils eurent 2 filles Colombe en 1840, Léonie
en 1847, et 1 fils Nestor en 1848. Il put entrer en 1843 dans la nouvelle maison
école. En 1851 il fut révoqué par le Préfet qui imposait désormais à la
municipalité de choisir un instituteur public sur la liste d’admissibilité de l’Ecole
normale créée en 1832. Mr Joubert l’instituteur public retenu par le conseil,
déclina en juin 1851 le poste, refusant de partager la maison avec la salle
commune de la mairie et réclamant la totalité du jardin légumier.

1851 à1856

Victor Cousin âgé de 24 ans, marié à Adèle Coquerel, ils eurent en 1855 une
fille à Moon nommée Eléonore.

1867 à 1869

François Boursin âgé de 33 ans, marié à Madeleine Duval, ils eurent à Moon
une fille Lucile en 1857.

1856 à 1867

Ludovic Tison âgé de 26 ans

1869 à 1898

Edouard Tiphaine âgé de 27 ans, fils de cultivateur à Hauteville sur mer, marié
à Victoire Lecardonnel, il devint instituteur en 1860 et fut nommé à Moon en
1869 à l’école des garçons. Ils eurent à Moon 2 fils Eugène en 1874 et Maxime
en 1879. Il s’intégra à Moon, y fut secrétaire de mairie et devint adjoint. Son
fils Eugène qui obtint le certificat d’aptitude d’enseignement agricole dans les
écoles primaires supérieures fut nommé à Sartilly en 1899 comme instituteur
adjoint (la tombe d’Eugène, décédé en 1927, directeur de l’école de Torigni,
existe encore au cimetière de Moon).

en 1898 Léopold Gautier né à Tribehou en 1963, fils de cultivateur.

Ecole spéciale des filles à partir de 1862

De 1862 au début des années 1880 (après 1882) : Mademoiselle Aimée Renard, née le 26 novembre
1829 à Courson (14), décédée à Moon le 19 janvier 1918, âgée de 89 ans.
Des années 1880 (après 1882) à 1894 : Madame veuve Beauquet
En 1894 : Marguerite Sénéchal, née en 1872 à Saint-Lô, elle décéda à Cherbourg en 1949.

Comment les instituteurs étaient-ils recrutés au XIXe siècle ?

Nous constatons la jeunesse des premiers instituteurs recrutés à Moon. Quelques-uns s’y ancrèrent
plusieurs années, deux s’y marièrent avec des jeunes femmes originaires de Moon et quatre ont vu
naître leurs enfants à Moon. La majorité était des fils de cultivateurs comme Léonord Poullain, Jean Baptiste Gislet, Jean Robin, Edouard Tiphaine ou Léopold Gautier. Cette origine sociale se confirmait d’ailleurs à l’échelle du département de la Manche où 37 % des instituteurs venaient d’un milieu
cultivateur, un département rural au XIXe siècle

Au lendemain de 1815 c’était le comité cantonal de Saint-Clair qui recrutait l’instituteur, ce dernier
devait être agréé par le Recteur de l’Académie qui lui délivrait un brevet de capacité après un examen.
Le troisième degré : l’instituteur savait lire, écrire et chiffrer.
Le second degré : il maîtrisait l’orthographe, la calligraphie, le calcul

Le troisième degré : il connaissait la grammaire, l’arithmétique, la géographie et l’arpentage.

Avec la loi Guizot de 1833, les instituteurs de l’école publique furent formés dans des Ecoles normales
départementales, celle de Saint-Lô avait été fondée en 1832. Les instituteurs publics furent privilégiés
pour les recrutements. Jean Robin, présent depuis 14 ans, fut ainsi révoqué par le Préfet en 1851 malgré le soutien du conseil municipal. Les candidats devaient avoir 16 ans et suivre une formation de
deux ans à l’issue desquelles il leur était délivré un certificat d’aptitude. L’enseignement et la moralité
de l’instituteur restaient fortement soumis à la surveillance du maire et du curé de la commune. En
1850 le conseil municipal « considérait que l’instruction étant un puissant moyen de moralisation … il
est bon et utile d’en favoriser le développement » (contexte de la loi de 1850 sur l’instruction des filles).

La condition de l’instituteur était bien modeste en ce XIXe siècle. Au début du XIXe siècle il était payé
par les parents des enfants présents et logé par la commune. Il touchait bien rarement une indemnité
de la commune. A Moon, il dut attendre 1824 pour toucher une indemnité de 100 francs annuelle puis
150 francs en 1830, 200 francs en 1833 (traitement minimal fixé par la loi Guizot). Le traitement se
monta à 250 francs en 1843 et 300 francs en 1845. Les instituteurs dressèrent également les actes de
l’Etat-civil à partir de 1825, le premier fut Léonord Poullain. Etaient-ils rémunérés ?

Quelles matières enseignait l’instituteur?

En 1830, à Moon, les parents versaient une rétribution scolaire de 60 centimes par mois pour un niveau
allant jusqu’à la seule écriture, et 80 centimes pour un niveau allant jusqu’à l’écriture et le calcul. La
rentrée scolaire se faisait seulement le 1 octobre. Pendant les travaux agricoles à la belle saison, la
fréquentation chutait fortement.

Selon la loi Guizot de 1833, l’instituteur devait enseigner la
morale, la religion, la lecture, l’écriture, le calcul, le système
légal des poids et mesures, les éléments de la langue française.
L’histoire et la géographie de la France ne devinrent
obligatoires qu’en 1867, afin d’enraciner l’idée de la Nation
française auprès des jeunes français.
Depuis la Révolution française de 1789, les mètres, ares, litres
et kilogrammes avaient remplacé les aunes, pieds, toises et
autres lieues pour les longueurs ; les pintes, boisseaux pour les
volumes ; les acres, vergées et autres pour les surfaces. Ces
anciennes mesures variaient selon les régions et même entre
nos petits pays comme le Bessin et le Saint-Lois.

Estampe de 1800 sur l’usage des 6 nouvelles mesures (litre, are, mètre, gramme, stère, franc)

En 1849, le conseil refusa de financer une bibliothèque municipale « vus les fonds financiers
insuffisants et que la population est très disséminée, la bibliothèque serait peu … fréquentée ».

A combien d’élèves s’adressait l’instituteur?

Le chiffre pouvait atteindre les 50 élèves comme vu dans la classe unique mixte construite en 1843. En
1842 le conseil estimait le chiffre de scolarisables « à 65 enfants des 2 sexes de 6 à 13 ans dont 1
dixième ne fréquente aucune école » mais qu’il « … n’a pas les moyens d’avoir deux écoles «. Par
conséquent « il était préférable de mieux rémunérer l’instituteur » que de payer deux instituteurs.

De l’école unique mixte construite en 1843 à l’école spéciale des filles au début des années 1860

De 1826 à 1830 une institutrice avait été établie à Moon, mais en novembre 1830 la commune jugea
ne pas avoir les moyens de maintenir 2 écoles et supprima le traitement de l’institutrice (80 francs
annuels, l’instituteur avait 150 francs) et d’en revenir à une seule école. Le conseil arrêta dans sa
séance du 14 novembre 1830 « l’institutrice aura la liberté d’enseigner dans la commune de Moon
autant qu’elle le voudra mais n’ayant aucune ressource propre à y être affectée, il ne lui sera payé
aucun traitement ni logement ». L’école communale construite en 1843 assez grande permit alors de
mener une instruction publique dans le cadre d’une classe unique mixte.

La loi Falloux de 1850 institua le principe d’une école des filles obligatoire dans les communes de plus
de 800 habitants. Moon approchait ce chiffre (720 h) surtout que l’ouverture en 1858 de la gare de
Lison allait être un facteur de dynamisme démographique. Le conseil municipal considéra, à partir de
1852, qu’« une institutrice est indispensable pour l’instruction des petites filles ». Restait à trouver les
financements et les aides pour le logement école, le mobilier scolaire et le traitement de l’institutrice.

L’école spéciale des filles créée en 1862

Lors de sa séance du 8 février 1861, La commune inscrivit dans le futur budget, une somme de 365
francs pour le traitement annuel de l’institutrice et porta son choix sur un logement situé près du
presbytère appartenant au baron de Moon, Monsieur Gustave de Baupte. Après la visite et l’accord de
l’Inspecteur de l’instruction publique, le conseil décida lors de sa séance du 10 novembre 1861 d’en
faire l’acquisition pour une somme de 1 500 francs à payer à Monsieur de Baupte sur 6 ans avec un
intérêt annuel de 5%.


Pour transformer ce bâtiment en logement école, concept de l’époque qui associait la salle de cours
avec le logement de l’instituteur et un jardin légumier, des travaux très urgents s’avéraient nécessaires.
Le devis établi début 1862 par Monsieur Didier, architecte à Saint-Lô, se montait à 4 000 francs de
travaux. Les travaux s’étalèrent sur 4 ans pour arriver finalement à un coût de 9 316 francs selon le
rapport de l’architecte d’août 1866.

La salle du logement destinée au cours, qui faisait 32.20 m2 dut être agrandie à 42.45 m2 norme
nécessaire selon l’Inspecteur de l’instruction publique, si le conseil voulait bénéficier d’une subvention
de l’Etat et du Département ; la conséquence fut un surcout de 800 francs. Le plancher de la classe fut posé sur des madriers en sapin rouge sans poutre. Pour fermer la cour de l’école, du jardin du
presbytère, un mur fut construit en1866. Une pompe fut installée également.

Plan en 1862 de l’architecte Mr Didier du rez-de-chaussée de l’école des filles

Quant au logement de l’école, l’institutrice disposait d’une cuisine, d’une salle, et à l’étage d’une
chambre dont le plancher fut refait et d’un grenier accessibles par un escalier neuf, ce dernier situé
dans le cellier. La couverture en chaume du logement jugée trop vieille fut remplacée par une
couverture en ardoises. Face aux dépenses, la commune abandonna l’idée d’une surélévation et de
mansardes ainsi que l’idée d’un frontispice du pavillon.

L’école des filles : à gauche le cellier du presbytère, puis le cellier de l’école – à droite le logement et la classe

Mademoiselle Renard avait pris ses fonctions à la rentrée de 1862 et y demeura jusque dans les années 1880 avec sa mère à charge. L’école normale des institutrices ne fut fondée dans la Manche qu’en 1886 à
Coutances. Auparavant la formation se faisait auprès de congrégations religieuses comme celle du Sacré Cœur à Coutances. Faire réciter la prière, apprendre le catéchisme, surveiller et accompagner les enfants à l’église, relevaient des tâches de l’institutrice. Jusqu’aux années 1890, le mariage d’une institutrice passait pour scandaleux dans la Manche. On lui interdisait même d’exercer. Après 1900, le mariage se développa, notamment entre instituteurs et institutrices publics. En 1897 une institutrice sur six dans la Manche était
mariée, en 1903 une sur quatre.

Plan du préau filles prévu en 1910, il existait pas encore sur la carte postale du début du siècle

Quel était le traitement des instituteurs et institutrices au milieu du XIXe siècle?

Une participation financière des parents

Cette école primaire publique n’était pas encore gratuite ni obligatoire. Les parents devaient verser
une contribution scolaire mensuelle à partir d’un seuil minimal arrêté par l’Etat (sur présence
constatée, car souvent les travaux des champs, la distance ou la maladie multipliaient l’absentéisme).
A Moon, en 1830 de 60 à 80 centimes, en 1843 1 franc, et dans les années 1860, le montant s’élevait
à 1.25 franc mensuel par enfant, ce qui assurait environ 40 % du revenu de l’instituteur.

Un traitement fixe et supplément par la commune et une subvention de l’Etat et du Département

La commune vota un traitement fixe pour l’instituteur à partir de 1824, il était de 100 francs annuels,
et elle payait le bail du local soit 60 francs. La loi Guizot fixa le montant minimum à 200 francs en 1833.
Lors de l’ouverture du nouveau bâtiment école en 1843, la commune porta le traitement à 250 francs,
auquel s’ajoutaient désormais un logement plus grand, plus salubre et le jardin légumier attenant.
Monté à 300 francs en 1845, le traitement fixe fut fixé à 400 francs au début des années 1850.


Ainsi Monsieur Cousin, instituteur, perçut à partir de 1852, 600 francs annuels qui se décomposaient
en un traitement fixe (241 francs par l’impôt communal soit 40 %), en un supplément de traitement,
l’Etat et le Département participant désormais aux traitements (191 francs soit 32 %) et en la
rétribution scolaire des parents (168 francs soit 28 %)

Un traitement encore faible

Ce traitement restait faible pour l’époque, 50 francs par mois au final. L’instituteur put le compléter
par des cours du soir donnés à des adultes illettrés. Pour ces cours, il reçut à partir de 1867 une
indemnité de 90 francs annuels versée par la commune, complétée par un dédommagement des frais
de chauffage et d’éclairage fixé à 10 francs.

Le traitement de l’instituteur ne s’améliora que dans la seconde moitié des années 1870 avec une
hausse d’un tiers de son traitement. Quant à l’institutrice, Mademoiselle Renard, elle ne touchait que
365 francs en 1862/63, soit seulement 60 % du traitement d’un instituteur. Elle dut attendre aussi la
fin des années 1870 pour voir son traitement augmenter et voir l’écart se réduire avec celui de
l’instituteur, neuf cents francs en 1879 soit désormais 82 % du traitement d’un instituteur. La
participation des parents passa alors à 1.50 franc par enfant par mois de présence.

La question de la gratuité ? avant l’école obligatoire, gratuite et laïque de 1881-82

L’obligation faite aux parents de rétribuer l’instituteur écartait les enfants les plus pauvres d’un accès
à l’instruction, 10 % des enfants de 6 à 13 ans ne fréquentaient aucune école en 1842 selon la
municipalité, sans oublier l’absentéisme fréquent. Face à cette question, les communes, incitées alors
par l’Etat, établirent une liste annuelle des enfants d’indigents pouvant bénéficier de la gratuité de
l’école. En 1830 1/3 des enfants appartenaient à des familles indigentes. Le curé et le maire arrêtaient
cette liste, remise ensuite à l’instituteur. Quel nombre retenu? Une dizaine dans les années 1840, 25
en 1852, 25 garçons et 17 filles inscrits sur cette liste pour la rentrée de 1867.

A partir de cette rentrée de 1867, la commune de Moon décida de payer à l’instituteur et à l’institutrice
une rétribution scolaire pour la présence gratuite de ces enfants d’indigents, 0.75 franc par mois pour
un garçon et 0.50 franc par mois pour une fille.

Le livre de lecture, un livre de catéchisme

En août 1866, les instituteurs de Moon avaient été autorisés à acheter des livres pour les enfants
pauvres, garçons et filles, financés par la commune et complétés par une subvention de l’Etat et la
donation de 15 francs d’une bienfaitrice. 25 livres paroissiens et 25 livres catéchisme furent prévus par
le conseil municipal. Dans sa séance du 12 novembre 1865 le conseil municipal de Moon arguait du
motif suivant « que les élèves admis gratuitement aux écoles n’ont ni paroissiens, ni catéchismes, qu’un
bon nombre de ces enfants sont en âge de faire leur première communion … ».Le coût total prévu
s’élevait à 60 francs. Ces paroissiens et catéchismes servaient de livres supports pour l’apprentissage
de la lecture, n’oublions pas que la religion et la morale chrétienne figuraient au programme.

Des cours pour adultes illettrés

Depuis la fin du XVIIIe siècle, les progrès de l’alphabétisation avaient été très nets. Certes des
signatures ont pu être apprises pour éviter le sentiment humiliant de voir la mention : « a déclaré ne
pas savoir signer » portée en ce cas sur l’acte de mariage. Le constat est néanmoins là, la plupart des
jeunes de Moon avaient reçu une instruction minimale à l’école de Moon.

Signatures des marié(e)s à Moon sur Elle de 1850 à 1860 (100 mariages) à partir des registres d’Etat-Civil

Cependant des cours furent donnés aux illettrés adultes, pour les garçons, depuis 1857 par Monsieur
Boursin, instituteur arrivé à Moon à la rentrée de 1856. Ces cours furent même assurés gratuitement
à partir de septembre 1864 par la bonne volonté de l’instituteur. Une circulaire ministérielle datée de
juillet 1866 allait en ce sens et prévoyait des subventions d’état pour encourager la lutte contre
l’illettrisme des adultes. La commune engagée dans les frais de la construction de l’école des filles
attendit la rentrée 1867 pour inscrire au budget une indemnité annuelle de 90 francs, complétée par
un dédommagement des frais de chauffage et d’éclairage pour un montant de 10 francs, le tout alloué
au directeur de l’école, Monsieur Tison le nouvel instituteur.


Les adultes illettrés n’étaient pas nécessairement des analphabètes car ils avaient suivi une instruction
dans leur enfance à l’école communale. Mais le fait d’avoir été plus ou moins assidu à l’école et la mise
au travail dès l’âge de 12 ans, souvent après la communion, voire avant, les avaient conduits à perdre
les rudiments d’écriture et de lecture. Toutefois l’instituteur de la commune voisine de Saint-Clair sur
Elle faisait observer que ce n’était pas nécessairement les plus démunis qui venaient suivre ces cours.

En 1881-82, la III ième République instituait par les lois de Jules Ferry l’école obligatoire, gratuite et
laïque. La conclusion de cette présentation de l’école de Moon montre pourtant que beaucoup
d’enfants de Moon avaient été alphabétisés au cours du XIXe siècle. Mais l’école était devenue
désormais un enjeu politique entre une Eglise très monarchiste et très présente dans l’éducation des
enfants, et la jeune République encore fragile (née en 1870) qui voulait implanter l’esprit républicain.

Sources :
Registres paroissiaux et d’Etat-civil de Moon – Registre de catholicité de Moon (Archives départementales de la Manche)


Cadastre Napoléon et matrice cadastrale de Moon – Devis de l’école-mairie de 1834 et 1838, de l’école des filles de 1862.


Registres des délibérations du conseil municipal de Moon (1828-1833, 1837-1852, 1861-1880)
Annuaires du département de la Manche.


Enquête de Jacques Ozouf sur les instituteurs de la Manche et leurs associations.

Gilbert Lieurey