Notre-Dame, sainte Patronne de la paroisse de Moon

Notre-Dame, sainte Patronne de la paroisse de Moon

7 avril 2022 0 Par Gilbert LIEUREY

Notre-Dame est la sainte Patronne de la paroisse de Moon, l’Eglise en a fixé la fête le 15 août, jour de l’Assomption, et la République en a fait un jour férié. A Moon la fête patronale est fixée au 15 août. Si les Evangiles mentionnent peu le rôle de la Vierge Marie, le culte marial s’est développé néanmoins dès l’Antiquité, d’abord en Orient, puis il a gagné l’Occident. Au VIIe siècle il est célébré dans le diocèse de Coutances.

Avec la fin des invasions Vikings, de nombreuses églises sont fondées aux XIe et XIIe siècles et beaucoup furent dédiées à la Vierge Marie comme à Moon-sur-Elle. D’ailleurs en Normandie, l’Assomption est la fête patronale des 5 cathédrales normandes : Bayeux, Coutances, Rouen, Sées et Evreux.

En 1640 Louis XIII décida, après la naissance, en 1638, d’un dauphin tant espéré, le futur Louis XIV, de faire du 15 août une fête nationale, et ce jusqu’à la Révolution française. Si Napoléon transforma le 15 août en fête Napoléon, la Restauration rétablit la fête de l’Assomption qui devint fériée sous la République.

Eglise Notre-Dame de Moon (Photo G.Lieurey)

Fiche : résumé de l’article

L’église de Moon-sur-Elle, datée du XIIe siècle pour les éléments les plus anciens, est dédiée à la Vierge Marie. A Moon-sur-Elle, la fête patronale est célébrée le 15 août, jour de l’Assomption qui relate la montée au ciel de Marie. Cependant la toile, au centre du maître-autel restauré dans sa splendeur en 2009-10, fait figurer la Vierge Marie en Immaculée-Conception.

la Vierge à l’enfant

Plusieurs statues de l’église témoignent du culte marial pratiqué au sein de la paroisse de Moon. La statue de la Vierge à l’enfant, noire en bois teinté, trône au sommet du retable. Elle symbolise la Maternité divine, thème d’un culte qui se développa au cours du Moyen-Age. D’ailleurs la fête patronale du 15 août se déroule au moment des récoltes, signe de fécondité.

La Vierge de majesté

L’autel latéral nord, datant du début XIXe siècle est consacré en revanche à la Vierge de majesté, représentée avec une couronne tout comme son fils Jésus. Ce petit autel recevait en mai les rassemblements dédiés au mois de Marie. Une confrérie du Rosaire fut fondée en 1647 à Moon, 3 chapelets étaient consacrés à la Vierge Marie, dans le contexte de la reconquête des âmes face au protestantisme. Une Vierge couronnée marque également, par sa présence, la chapelle Sainte-Barbe.

le culte marial après la période révolutionnaire

Le culte marial connut une nouvelle dévotion au XIXe siècle, encouragée par l’Eglise qui célébra plusieurs apparitions de la Vierge. Témoins, ces 2 statues dans l’église de Moon, celle de Notre-Dame de Lourdes et celle de Notre-Dame de la Salette. La toile centrale du maître-autel, celle de l’Immaculée-Conception, fut placée en 1824. Ce culte marial était encore vivace au XXe siècle, car un oratoire Notre-Dame de Lourdes au pied du cimetière, fut bénit en 1958, année du centenaire de Lourdes.

Article

Notre-Dame à Moon-sur-Elle : le maître-autel, Immaculée-Conception et Assomption

En entrant dans l’église, notre regard se porte très vite sur le grand maître-autel en bois d’une hauteur de 7 mètres qui ferme le chœur. Au centre du maître-autel, figure la sainte Patronne de la paroisse Marie en Immaculée-Conception. La toile est une copie d’une peinture de Murillo (signée M.T. d’après Murillo), peintre espagnol du XVIIe siècle.

 « Le tableau de l’Assomption de la Très Sainte Vierge Marie a été placé au grand autel  le lundi 20 décembre 1824, puis bénit par le curé de la paroisse Jean-François Marie « (1 registre de catholicité  page 177).

Le dogme de l’Assomption selon lequel le corps et l’âme de Marie furent portés au  ciel par les anges, avait été proclamé par l’Eglise en 1950 par le pape Pie XII, sa fête est le 15 août.

Le dogme de l’Immaculée-Conception a été proclamé par le pape Pie IX en 1854. Il dit que Marie fut préservée du péché originel à sa naissance (immaculée = sans tâche). Sa fête est célébrée le 8 décembre. Ce fut sous cette forme qu’elle se présenta à Lourdes en 1858 selon Bernadette Soubirous, événement qui fut salué par l’Eglise comme une confirmation céleste de ce dogme.

Marie est invoquée comme la Vierge à l’Assomption en tant que patronne de la paroisse, représentée en Immaculée-Conception sur cette toile du maître-autel. Ce tableau représente la Vierge Marie, les mains jointes, drapée dans un manteau flottant à la couleur blanche, couleur de la pureté, et bleue, couleur du ciel. Elle est entourée par des angelots. 

Préservée du péché originel et rachetée au ciel par Dieu en raison des mérites de son Fils, elle est pour les chrétiens une nouvelle Eve qui a contribué à la victoire de la vie sur la mort. Elle laisse une grande espérance aux chrétiens, celle d’échapper à la damnation divine qui frappa Adam et Eve, chassés du Paradis.

Tableau de Murillo du XVIIe siècle                            toile du maître-autel placée en 1824 à Moon

Le maître-autel daterait de la fin XVIIe-début XVIIIe siècle, érigé dans le contexte de la reconquête des âmes par l’Eglise et la révocation de l’édit de Nantes par Louis XIV en 1685. A Moon existait un cimetière aux Huguenots (2) etdes membres de la famille Bauquet seigneurs de Moon furent protestants. Un badigeon marron au XIXe avait caché la richesse des décors du retable pour éviter la dispersion des fidèles et la distraction. Sans le savoir, cette couche marron préserva la fraîcheur des décors.

Ils furent redécouverts en 2007 suite à des travaux nécessités par une menace d’effondrement. Il fut inscrit alors aux monuments historiques le 25 août 2008. Après la restauration des menuiseries et l’intervention de Delphine Hue, maître doreur sur bois, pour la polychromie, plus de 2 500 feuilles d’or de 8 x 8 ont été utilisées, l’ouvrage fut bénit le 2 mai 2010.

La Vierge à l’Enfant et la Maternité divine

Au haut du maître-autel, une statue de la Vierge à l’Enfant, noire en bois teinté, datant également fin XVIIe-début XVIIIe siècle a été placée dans la niche du couronnement. La sculpture exprime toute la tendresse maternelle avec l’Enfant qui appuie sa tête contre celle de sa mère. La Vierge Marie semble vouloir présenter et donner son enfant Jésus. Elle fut restaurée en 2009 par les soins du sculpteur Frédéric Rouchet de Granville, quelques traces de bleu figuraient sur son manteau.

Au Moyen-Age, à la fin du XIIe siècle, le tournant de l’art roman et gothique montre une évolution des mentalités avec l’introduction de l’émotion et de l’affectif, marques d’une nouvelle humanité (3). La statuaire qui se développa au XIIIe siècle et se multiplia au XIVe siècle dans les églises normandes, traduit cette évolution en abandonnant le thème de la Vierge de Majesté, Marie Reine et Mère assise sur un trône, pour celui de la Vierge d’Humanité (4). Marie debout portant l’enfant dans ses bras montre toute sa tendresse pour le nouveau-né.

Ce thème de la Vierge à l’Enfant ou de la Madone renvoie à la Maternité divine. Le concile d’Ephèse en 431 avait proclamé Marie, mère de Dieu. Sans doute, ce culte marial s’inscrit-il dans une continuité, celles de divinités païennes. Les déesses mères (Cybèle, Isis) étaient implorées par les sociétés paysannes pour lesquelles la fertilité et l’abondance des moissons étaient primordiales pour la survie. D’ailleurs des réticences furent émises par l’Eglise aux XIe et XIIe siècles envers ces images taillées, elle se méfiait du culte des idoles.

Le 15 août est fêté justement au moment des récoltes, on engrange, les fruits de la terre sont bénits à l’image de la distribution du pain bénit à la fête de Moon.

Dans le cartulaire du Trésor de l’église de Moon de 1476-77, nous retrouvons des actes de dévotion envers Marie.  Ainsi sur le feuillet 39 (5): « Cy ensuit par desclaration les rentes données et osmonées pour la messe Noste-Dame du dymence au matin et de celle des trespassés du lundy matin, fondées en l’église Nostre-Dame de moon »

Ou sur le feuillet  40 (5) en date 8 août 1477 : «copie de la lettre de plusieurs rentes données et aumosnées par plusieurs personnes pour lad. messe Nostre-Dame et pour la fondation d’icelle du lundy matin, …, par condition que les curés d’icelle parroisse diroient et cellèbreroient icelle messe chacun à son tour  ..»   

La grande croix de procession, achetée semble-t-il en 1845, représente aussi au revers de la croix, une Vierge à l’Enfant.

Le vitrail, dans la chapelle sud accolée au clocher, datant du début XXe siècle, don de Madame Auguste Poulain née Françoise Le Vieux, réalisé par les établissements Mazuet, représente le thème de l’Annonciation, un thème qui reprend l’image de la Maternité divine. L’Archange Gabriel annonce à Marie qu’elle portera un enfant conçu par le Saint-Esprit, Jésus, Envoyé de Dieu,  selon l’Evangile de Saint-Luc. Sa fête est fixée au 25 mars, au moment de l’équinoxe de printemps soit celui des semailles.

Un autel dédié à la Vierge Marie, vierge de Majesté

Dans la nef, l’autel latéral nord est dédié à la Vierge, une Vierge couronnée tenant sur son bras son fils également couronné. Sa confection actuelle, dans un style corinthien, date du premier quart du XIXe siècle, c’est l’image d’une Vierge plus majestueuse mais aussi plus impersonnelle dans un style néoclassique.

L’autel dédié à la Vierge Marie et bouquet floral

 petit autel (photo à gauche) permettait notamment les rassemblements et l’offrande du bouquet marial lors des célébrations du mois de Marie  en mai, un culte connu depuis le MoyenAge. Développé au cours du XVIIIe siècle sous l’action des Jésuites, la dévotion du  mois de Marie connut un vif succès au XIXe siècle.  Dans les années 1950 une procession avec des pétales de fleurs existait encore. Le mois de mai, la saison des fleurs, était l’occasion d’offrandes florales en l’honneur de la Vierge Marie. Chez les Romains, le mois de mai était consacré à la déesse Flore, déesse de la floraison et des fleurs.

Une autre statue (photo à droite) d’une Vierge couronnée à l’Enfant est installée dans une niche du mur de la chapelle Sainte-Barbe.

Le culte de la Sainte Vierge à Moon avec la fondation du  Saint-Rosaire au XVIIe siècle.

Le 4 novembre 1647, maître Jean de Clamorgan, curé de Moon, fondait la confrérie du Saint-Rosaire et faisait pour  cela une rente à la paroisse, sur ses biens personnels. Chaque premier dimanche du mois, il y avait une messe en l’honneur de la Sainte-Vierge, et après les vêpres, une procession se déroulait autour de l’église. Des cierges brûlaient pendant ce temps, et le reste de la semaine, le custos (sacristain) était chargé de les allumer une demi-heure par jour (6). 

Depuis les Guerres de religion (1562-98) et l’Edit de tolérance de Nantes (1598), l’Eglise ne renonçait pas à lutter contre le protestantisme avec la Contre-Réforme. Le culte marial, rejeté par les protestants qui avaient détruit les images et les statues lors des Guerres de religion, fut associé au XVIIe siècle aux combats des catholiques contre le protestantisme. Dans ce même contexte, en 1640, Louis XIII fit du 15 août, la fête nationale du Royaume de France.

Dans la famille des Bauquet, seigneurs patrons de Moon, plusieurs s’étaient convertis au protestantisme au XVIe. Dans les années 1640-50, ils ont abandonné la cause des protestants pour revenir dans l’Eglise catholique. Ainsi la dernière fille, Renée,  fille du seigneur de Moon Jean Bauquet (inhumé en 1643 dans le chœur de l’église) époux de Marie Bauquet dame patronne de Moon, fut baptisée à l’âge de 12 ans en 1650. Une autre branche des Bauquet, sieurs de Grandval et de Mauny,  fit baptiser leurs 5 enfants la même année en 1641, le 11 août avec Marie âgée de 9 ans, et Françoise Marie âgée de 2 ans, le 7 novembre avec Renée âgée de 12 ans, Françoise âgée de 7 ans et Tanneguy âgé de 6 ans, enfants de Jacques Bauquet décédé le 22 septembre 1641, et enterré dans la chapelle SainteBarbe (8)

Jean de Clamorgan prêtre obitier à Moon, chapelain de la chapelle Sainte-Barbe décédé le 5 mars 1676 à Moon, était lié à la famille des Bauquet, beau-frère de François Bauquet, frère du seigneur patron de Moon Henri Bauquet (1617-1691). Avec Jean Bauquet (1625-1700) curé de Moon, un frère du seigneur de Moon, ils recueillirent l’abjuration de Marie Dupin, veuve de Thomas Cavelande, qui fit profession de la foi catholique le 15 juillet 1655 (8).

La confrérie fut donc fondée en 1647 dans ce contexte de reconquête des âmes par l’Eglise. La dévotion du Rosaire, c’était 3 chapelets consacrés à la Vierge, le chapelet étant constitué de 5 dizaines de petits  grains (Ave) précédées chacune d’un grain plus gros (Pater). Les fidèles récitaient ainsi les prières l’Ave Maria  « Je vous salue Marie… », le Pater Noster et méditaient sur les « mystères » de Marie et Jésus (la vie de Marie, la Passion du Christ, sa Résurrection).

Armoiries des Bauquet Armorial 1696

Le culte marial, une nouvelle dévotion au XIXe siècle

Le culte marial traditionnel et populaire depuis le Moyen-Age connut une nouvelle dévotion au XIXe siècle, encouragée par l’Eglise confrontée à la modernité. Les bouleversements de la société avec l’essor du monde industriel et urbain, provoquèrent un mouvement de déchristianisation et la montée de la laïcité sous la IIIe République : lois scolaires de Jules Ferry en 1881-82, séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905. Aussi l’Eglise reconnut très vite les apparitions de la Vierge à de jeunes bergers comme à la Salette en 1846, à Lourdes en 1858, à Fatima en 1917. Elle en autorisa le culte et les pèlerinages.

L’autel de la Vierge dans sa confection actuelle  au début du XIXe siècle (refait entre 1807et 1822), la peinture du maître-autel posée en 1824, la grande croix de procession achetée en 1845 et la dévotion lors du mois de Marie nous montrent que le culte marial restait vivace à Moon. 

Les marques des dévotions se multiplièrent après les apparitions reconnues par l’Eglise. Une statue de Notre-Dame de la Salette en habits de paysanne fut placée dans la nef, mur nord. Dans la chapelle sud accolée au clocher, une statue de la Vierge est représentée sous les traits de Notre-Dame de Lourdes, vêtue de blanc et de bleu. Un médaillon de Notre-Dame de Lourdes avec Bernadette Soubirous figure également dans un vitrail du premier quart du XXe siècle dans la nef, mur sud.

Plusieurs plaques, ex-voto, ont été fixées dans le mur à côté de ces statues pour remercier la ViergeMarie de sa protection Ainsi à proximité de l’autel consacré à Notre-Dame, l’inscription dit : « merci à jamais/14-18 ». Au cours du XXe siècle, un autre culte populaire se développa, celui de Sainte-Thérèse de Lisieux  dont une statue figure aussi dans l’église de Moon.

Au XXe siècle la dévotion à Marie resta toujours vivace. Au pied du cimetière de l’église, les paroissiens ont fait construire l’oratoire Notre-Dame de Lourdes (photo à gauche) qui fut bénit le 11 octobre 1958, année du centenaire de Lourdes, par l’évêque de Coutances Monseigneur Guyot.

Quelques années auparavant, dans la chapelle de l’église les jeunes de Moon avaient récupéré une colonne en pierre dans le cimetière, pour aménager un angle de la chapelle Sainte-Barbe consacré à la Vierge Marie sous les traits de l’Immaculée-Conception vêtue de bleu et blanc (témoignage de Mr Alexandre Lecanu, ancien premier adjoint, photo de droite).

Fête patronale du 15 août 2000, sur le thème de la fête normande.
Le maire Claude Baumel en train de vanner sous le regard du président du Comité des Fêtes,
André Le Calvez, en habits normands.

Si la  messe de l’Assomption est encore célébrée au début du XXIe siècle et que l’oratoire extérieur reste fleuri, la fête patronale n’est plus organisée depuis 2007. L’année précédente le Comité des fêtes de Moon avait tenté de la déplacer du 15 août au début septembre, après les vacances, mais le bilan en fut mitigé. 

Les Battous du Cotentin sur la place, près de la salle des fêtes, ont fait une démonstration  avec le battage du sarrasin à l’ancienne au fléau, lors de la fête du 15 août 2000.

Fête de Marie Maternité divine, fête des moissons, toute une symbolique renouée en cette année 2000.

                                                                                                                                Gilbert Lieurey

Sources :

  • Actes de catholicité de Moon 1803-1880  page 177 (Archives de la Manche 6 MI 128)
  • Cadastre napoléonien, section C1, parcelle 89 (1811)
  • Art de Basse-Normandie n°99 : Notre-Dame collectif – Jean Fournée 1990
  • Du ciseau au sculpteur au sourire des saints, sculpture gothique de la Manche (XIIIe – XIVe siècle) Collection patrimoine  2005
  • Le cartulaire de Moon dans Mélanges de la Société d’archéologie de la Manche par Rémy Villand et André Dupont (1990).
  • Notices sur l’histoire des paroisses de Moon sur Elle et Saint-Clair sur Elle de l’abbé Quesnel
  • Bulletin de l’abbé Quesnel
  • Registres paroissiaux de Moon (BMS 1589/1700 et 1625/96 Archives départementales de la Manche E1 et E2)
  • Photos Gilbert Lieurey