L’EGLISE NOTRE-DAME DE MOON-SUR-ELLE

L’EGLISE NOTRE-DAME DE MOON-SUR-ELLE

7 avril 2022 0 Par Gilbert LIEUREY

QUAND FUT CONSTRUITE L’EGLISE DE MOON-SUR-ELLE ?

La datation précise reste difficile car l’église de Moon a subi bien des transformations. Pouvons-nous retrouver les strates de sa construction ? Le point de départ de notre enquête pourrait être la chapelle qui abrite la statue de Sainte Barbe.

La chapelle Sainte Barbe, fin du 15e siècle ou début XVI siècle

Fiche : résumé de l’article

L’église de Moon-sur-Elle, essentiellement gothique, a subi bien des transformations entre le XIIe siècle et la fin du XVe siècle. Dans la seconde moitié du XIe siècle, le duché de Normandie de Guillaume Le Conquérant est prospère et la paix y règne. A côté des grands chantiers des abbayes normandes romanes, s’édifient de nombreuses églises plus modestes dans le monde rural.

un édifice roman

Observons notre église et nous trouverons de nombreuses indices qui font remonter la construction à la fin du XIe et du XIIe siècle. 2 petites fenêtres étroites, une porte principale en arc en plein cintre, occultées, contreforts puissants, motifs géométriques sculptés sur quelques pierres de réemploi sont des caractéristiques de l’art roman.

un édifice gothique

Avec l’essor économique et démographique du XIIIe siècle, l’église s’agrandit avec deux vaisseaux, la nef puissante et le choeur construits dans le style gothique des XIIIe et XIVe siècle, avec des fenêtres au style ogival, une construction surélevée, mais aux contreforts moins épais. Un clocher au toit en bâtière, puissant, donnant l’impression d’une tour fortifiée, fut accolé à l’église. A l’intérieur, le choeur s’achève par un magnifique retable qui a retrouvé sa splendeur en 2009 avec ses dorures. Ce maître-autel daterait de la fin XVIIe siècle ou début XVIIIe siècle sous Louis XIV, période de la révocation de l’édit de tolérance de Nantes en 1685 .

Continuons notre enquête. Une chapelle, au pur style gothique flamboyant, remarquée par de Gerville dans son voyage archéologique de la Manche en 1819, fut édifiée à la fin du XVe siècle.. Cette chapelle seigneuriale, accolée au choeur et au cloche et dédiée à Sainte-Barbe, a conservé son unité architecturale.

Enfin de de nombreux travaux furent entrepris au XIXe siècle, après la période révolutionnaire, mais ils concernèrent essentiellement les aménagements intérieurs. De l’édifice roman à l’édifice gothique, près de 9 siècles ont marqué de leur empreinte cette église.

Article

La chapelle Sainte-Barbe de style gothique flamboyant

Cette petite chapelle, accolée au clocher et au chœur, présente par sa finesse et l’équilibre des formes, une unité de construction qui la classe dans le style gothique flamboyant de la fin du Moyen Age. A l’origine, elle était peinte et décorée de fleurs de lys jaunes. La voûte en carreau est à 8 rayons qui partent du centre Des têtes d’anges chérubins ainsi que des coquilles Saint Jacques sculptées ornent les arcs de voûte. Les coquilles Saint Jacques rappellent le rôle des pèlerinages, d’ailleurs une statue de Saint Jacques trône dans l’église et un autel Saint-Jacques existait dans l’église en 1662 (3).

« Un mélange peu commun d’architecture grecque et gothique pour cette chapelle des seigneurs, faite par un Bauquet » selon de Gerville dans son voyage archéologique dans la Manche en 1819 (1)

Cette chapelle est dédiée à Sainte-Barbe au moins depuis le milieu du XVIIe siècle, attestée en 1641 lors de l’inhumation de Jacques Bauquet, sieur de Mauny et Grandval enterré « en la chapelle Sainte- Barbe » (3). La statue de Sainte-Barbe en pierre calcaire avec des traces de polychromie date de la fin XVe – début XVIe siècle et orne encore l’édifice. Sainte-Barbe (2) figure adossée à une tour tient de la main gauche un livre fermé. Plusieurs plaques commémoratives (2), en calcaire, en écriture gothique sont contemporaines de la construction de la chapelle, fin XVe début XVIe siècle.

Cette chapelle seigneuriale fut-elle dédiée à Sainte-Barbe dès sa construction ou fut-elle d’abord une chapelle seigneuriale consacrée à Marie, la patronne de la paroisse ? Au XVIIIe siècle, de nombreux potiers avec leurs fours travaillaient déjà sur Lison et sa région.

Avec la fin de la guerre de Cent ans, au milieu du 15e siècle, le retour à la paix favorisa l’essor économique et l’enrichissement, notamment des familles de notables. C’est dans ce contexte de retour à la prospérité que se fit la reconstruction de l’abbaye voisine de Saint-Fromond dans le style gothique flamboyant.

A Moon, la famille Cauvelande était les trésoriers de la fabrique, ils géraient les revenus, les offrandes et les rentes de l’église de Moon. Ils assuraient l’entretien de l’église voire ils devaient assister les pauvres de la paroisse. Denis Cauvelande, tabellion (soit l’équivalent d’un huissier ou notaire), fit rédiger en 1476-77 le cartulaire de la paroisse de Moon, afin d’y consigner les différents actes notariaux et rentes concernant la fabrique. La construction de cette chapelle dans la deuxième moitié du 15e siècle est contemporaine de l’ascension de la famille Cauvelande. Les Cauvelande ou les Bauquet (selon Gerville) furent-ils les fondateurs de cette chapelle ?

A la fin du XVIIe siècle, le seigneur de Moon, Henri Bauquet acheta la Buissonnerie, proche de l’église et relevant du fief du Hommet, à Georges Cauvelande. Plusieurs Bauquet furent inhumés dans le choeur de l’église dont Jean Bauquet seigneur et patron de Moon en 1643 (3).

Un édifice gothique des 13e et 14e siècles

Si cette chapelle est accolée au clocher, la conclusion à tirer est que l’église est antérieure à la fin du XVe siècle.

Le plan de l’édifice se présente sous la forme de 2 vaisseaux. A l’ouest (à droite), le plus grand abrite la nef de 18 m sur 9 m qui accueillait les fidèles. A l’est (à gauche), le second, le chœur, plus petit avec 13.5m sur 6.5m, était réservé aux prêtres.

La nef

Cette nef est ouverte par trois fenêtres au sud et deux au nord, elles sont de forme gothique. S’y ajoute sur le mur de la façade Ouest, une autre ouverture avec une croisée au style ogival avec meneaux.

La nef est habillée de deux autels latéraux de style corinthien en harmonie avec le maître-autel du chœur. Confectionnés au début du XIXe siècle (2) en bois peint en marron et doré, comme l’était le maître-autel aux XIXe-XXe recouvert aussi d’un badigeon chêne, ils sont dédiés à la Vierge, sur la gauche, patronne de l’église de Moon, et au Sacré-Cœur, sur la droite.

Ces autels furent-ils dédiés auparavant à d’autres saints ? La statue de Saint-Jean Baptiste en bois qui présente un aplat dans le dos, occupait-elle auparavant l’autel du Sacré-Cœur ? Dans les registres paroissiaux des sépultures (3), il est mentionné aussi l’existence en 1662 d’un autel dédié à Saint- Jacques ? Une statue de Saint-Jacques occupe encore aujourd’hui une place en cette nef.

Lavabo en pierre calcaire de style Renaissance près de l’autel du Sacré-Cœur (2).

La voûte apparente de la nef confectionnée en lambris a été refaite en 1965 en même temps que la couverture. Auparavant le lambris de la nef, en forme de plancher confectionné en 1819, coupait par le milieu la croisée, de style ogival avec meneaux et cachait la partie supérieure (4). Les grosses poutres

de chêne datant de 1614 furent conservées et laissées apparentes(5). Les lambris avaient pour but de cacher la charpente et lutter contre le froid en hiver.

A l’entrée les fonds baptismaux en calcaire portent la date de 1782 en inscription sur le pied. Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle les familles du seigneur ou de la petite noblesse de Moon avaient le privilège d’être enterrées dans l’église. La nef dont le sol était alors en terre battue, fut pavée au début XIXe siècle pour l’allée centrale et le chœur le fut en 1840.

Statue de Saint-Jean le Baptiste (ou du Bon Pasteur) – Fonds baptismaux – Statue de Saint-Jacques le Majeur

Au nord, près de l’autel de la Vierge, une statue d’un berger avec un agneau, en bois de chêne du XVIIe-XVIIIe fut restaurée en 2009. Une hésitation demeure : est-ce Saint-Jean le Baptiste selon le répertoire de 1999 ? Christ ou Saint-Joseph selon le répertoire de 2007 ? (2) ou simplement le Bon Pasteur ? Saint-Jean le Baptiste reste l’hypothèse la plus partagée.

La statue de Saint-Jacques le Majeur, revêtu d’une pèlerine à coquille sur les épaules, le costume du pèlerin, et tenant de la main droite le bâton avec la calebasse, est en bois de chêne du XVIIe. Elle se dresse au sud près de l‘autel du Sacré-Coeur. Les arcs de voutes de la chapelle Sainte-Barbe portent également des coquilles de Saint-Jacques sculptées. Moon était-il sur un chemin de pèlerinage ? 3 parcelles de terre près de la Chapelle du Mesnil-Vitey sur l’ancien  chemin de Moon à Saint-Lô

portent le nom de Pampelune (6), ville basque sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. L’abbaye de Cerisy-la-Forêt était une étape des pèlerins tout comme l’abbaye de Saint-Fromont. Le culte s’était développé après le IXe siècle pour atteindre une grande dévotion au XIIe siècle.

Le choeur

A l’est, le second vaisseau, le chœur, plus petit, avec 13.5m sur 6.5m, était réservé aux prêtres. Il s’achève par un chevet plat et le grand-autel au fond. Deux fenêtres principales ouvertes au nord, de forme gothique, éclairent le chœur, ainsi qu’une fenêtre au sud. Les traces d’une ouverture sur le chevet plat du fond apparaissent encore à l’extérieur. Cette ouverture devait exister avant l’élévation du maître-autel fin XVIIe et la construction de la sacristie. Une ouverture de chaque côté du sanctuaire de forme ronde, vrai oeil-de-bœuf, ont été pratiquées plus tardivement au début du XIXe siècle. La porte latérale côté nord, plus tardive également, placée sous un vitrail permet un accès direct au choeur.

Les stalles en bois de chêne sculpté datant du début du XIXe siècle (2) encadrent le choeur de part et d’autre. Enfin la chaire assure le lien entre le chœur et la nef, entre le prêtre et les fidèles lors du prêche.

La pièce centrale, majestueuse du maître-autel s’élève jusqu’à 7 mètres de hauteur cachant le mur du fond. Elle crée une magnifique perspective lorsque nous entrons dans l’église. Le maître-autel fut confectionné à la fin du XVIIe – début XVIIIe (2) dans le contexte de la reconquête des âmes par l’Eglise catholique sur le protestantisme et la révocation de l’édit de Nantes en 1685. Badigeonné de 4 couches de peinture couleur chêne au début du XIXe comme les deux autels latéraux de la nef, les décors ont pu être préservés.

Ils retrouvèrent leur splendeur en 2009 lors de la rénovation du maître-autel, après son classement en 2008. La maître-artisan Delphine Hue après le décapage, a réalisé la dorure et la polychromie sur le bois. La bénédiction de l’ouvrage fut célébrée le 2 mai 2010.

L’autel tourné vers l’Est, richement composé et le tabernacle sont surmontés par le retable à 4 pilastres cannelés et chapiteaux corinthiens / Les 2 gradins et le tabernacle; le retable avec le tableau de N-D, patronne de Moon, en Immaculée-Conception
Les 2 gradins et le tabernacle enrichi de pilastres cannelés et sur la porte d’un ostensoir. / Composition sur le devant de l’autel : l’antépendium, rappelant les tissus très travaillés des devants d’autel.

Le tout est couronné par un entablement à corniche surmonté de 4 pots-à-feu et la statue de la Vierge à l’Enfant au sommet, une statue du XVIIIe siècle en bois de chêne (2), noire avec quelques traces de polychromie (bleu du manteau). Elle fut restaurée en 2009 par le sculpteur Frédéric Roucher de Granville. Cette niche de couronnement s’achève par la croix au sommet.

Portes de la sacristie dont les panneaux sont décorés de fleurs, avec niches au-dessus abritant chacune une statue, Saint-Michel à gauche et Joseph à droite.

Le clocher

Accolé au chœur sur le coté sud, le clocher est donc plus tardif que ces vaisseaux. Il se présente sous la forme d’une tour à 3 niveaux, avec d’étroites fenêtres, de forme gothique, coiffée par un toit en bâtière. Son aspect quadrangulaire élevé, le coq est à 22 mètres de hauteur, et son assise laissent une impression de puissance et de force, celle d’une tour fortifiée. Un cadran solaire au sud indiquait aux paroissiens l’heure.

Le clocher vu de l’ouest et vu de l’est avec la chapelle Sainte-Barbe accolée au clocher.

Le style gothique s’est épanoui aux XIIIe et XIVe siècles

Au final, nous aurions un édifice du 13e siècle, avec un clocher plus tardif, soit le 14e siècle. Ce dernier avec son beffroi puissant se situerait dans la période de la guerre de Cent ans. Les clochers à toit en bâtière sont très nombreux dans la Manche et sont caractéristiques de l’Ouest de la Basse- Normandie. Le clocher fut reconstruit à neuf en 1853 et la toiture fut refaite en 1984 (5). Au milieu du 13e siècle, vers 1255 sous le règne de Saint-Louis, selon le biographe Clément, un miracle à l’église-cimetière de Moon se produisit lors de la visite du bienheureux Thomas Hélye

Le mur sud de la nef et ses ouvertures de style gothique

Nous entrons dans cette église par un porche au style gothique avec un arc doubleau en pointe, 2 colonnettes et leurs chapiteaux en crochet de feuillage, caractéristiques du 13e siècle. Leur patine et leur usure attestent bien de leur ancienneté.

L’édifice est orienté vers l’Est, ainsi les fidèles, entrant par l’Ouest, viennent des ténèbres du couchant, pour se diriger vers la lumière du levant, celle de Dieu pour les chrétiens, le maître-autel s’élevant vers cet Est.

L’entrée de ce porche fut protégée plus tard par une construction postérieure. Celle-ci comporte notamment sur la gauche en remploi, une colonne quadrangulaire et un chapiteau en aplat sculptés dans un grès-calcaire rouge qui paraît très ancien. Cet élément très intéressant s’effrite malheureusement. Au sol, la dalle funéraire de Leonard Villière, curé de Moon, date du dernier quart du 18e siècle. Au-dessus de l’entrée, une croisée au style ogival avec meneaux, plus tardive que le mur, s’ouvre.

Quelques éléments caractéristiques de l’époque romane des 11e et 12e siècles

Pouvons-nous remonter au-delà du 13e siècle? Oui, si nous examinons bien la construction de l’édifice et notamment le premier vaisseau, celui de la nef actuelle.

Sur la façade ouest, de part et d’autre du portail, apparaissent en hauteur 2 petites fenêtres étroites, caractéristiques de l’art roman, aujourd’hui occultées (photo de gauche).

A proximité, sur le mur nord subsistent les vestiges de 2 portes aujourd’hui bouchées par une maçonnerie. D’abord une porte principale, avec un arc en plein cintre de style roman, puis une nouvelle porte plus petite. Cette ouverture en arc en plein cintre a existé, son empreinte se dessine légèrement dans le mur, à l’intérieur de la nef. Par contre la maçonnerie de la plus grande voute, en extérieur, semble avoir été reprise et être plus décorative car il y manque une réelle clé de voute.

Nous pouvons constater toujours sur cette nef, 2 styles de contreforts, les uns plus plats, d’épaisseur de plus ou moins 50 cm, et les autres beaucoup plus puissants, notamment les 3 contreforts côté nord.

Le contrefort plus plat (à gauche sur le dessin) est une caractéristique de l‘art roman. L‘édifice plus petit n’avait pas encore besoin de contreforts plus puissants. A l’époque gothique, l’édifice fut agrandi et les murs surélevés, comme nous le voyons en haut avec un appareil de pierres disposées horizontalement de manière régulière. Des contreforts plus puissants furent nécessaires.

Sur cette façade de la nef, comme à gauche des anciennes voutes romanes, des éléments de maçonnerie en arête-de-poisson sont visibles. Cet appareil architectural dit « opus spicatum » (pierres plates inclinées à 45° et changées de sens à chaque strate) est caractéristique de la période romane (XIe et XIIe siècles). Au XIIIe siècle, il n’est plus employée.

De l’édifice roman à l’édifice gothique

Une construction de l’époque romane du 12e siècle existait donc, avec une entrée principale sur le côté nord, le mur ouest à l’époque n’étant pas ouvert. Les 2 petites fenêtres romanes sur cette façade ouest seraient les traces de cette époque ainsi que les contreforts plus plats. L’appareil architectural en arête- de-poisson pour la maçonnerie fut employé.

L’appareil de l’édifice se caractérise aussi par des matériaux locaux, les plaquettes de schiste. Les matériaux plus nobles étaient rares, il fallait les faire venir de plus loin comme la pierre calcaire. Aussi étaient-ils réservés à l’encadrement de la porte et des fenêtres ou à la construction des contreforts.

Puis aux 13e et 14e siècles, l’édifice fut modifié et agrandi avec notamment le second vaisseau à l’est, le chœur, puis le clocher. Des contreforts plus puissants furent construits pour soutenir l’ensemble de l’édifice, les murs ont été surélevés. Le clocher a pu être élevé.

Le 13e siècle fut la période la plus prospère du Moyen Age, les derniers défrichements s’achevaient, le commerce et les bourgs se développaient, l’agriculture parvenait à nourrir une population nombreuse. La France avait atteint un premier maximum de population au début du 14e siècle, estimée à 20 millions d’habitants (dans les frontières d’aujourd’hui).

Cette hypothèse d’un agrandissement à partir d’un édifice roman fut avancée par l’abbé Quesnel dans son bulletin paroissial pour un autre édifice, l’église de Saint Clair (7). Celle-ci présente plusieurs similitudes avec celui de Moon sur Elle.

Un linteau échancré et remployé au-dessus de la porte latérale nord du chœur de l’église de Moon pourrait être un indice intéressant. Il se caractérise par la répétition de motifs géométriques sculptés dans la pierre qui sont la marque du géométrisme anglo-normand, un art qui s’est développé à la fin du 11e siècle et qui s’est épanoui au 12e siècle (8). Encore faut-il avoir l’assurance que ce linteau remployé provienne bien de notre église remaniée.

Dans la construction du porche d’entrée, nous retrouvons également des matériaux de remploi dont une colonne avec chapiteau sculpté de façon très primitive dans un calcaire rouge qui se désagrège.

Motifs géométriques près de la porte latérale du chœur – La colonne de calcaire rouge du porche.

Après l’An Mil, un vent de constructions dans le duché de Normandie

Les Vikings, arrivés dans notre région au 9e siècle, avaient tout détruit. Saint-Lô prise en 890, vit sa population massacrée et son évêque tué. Les abbayes de Cerisy-la-Forêt et de Saint-Fromond pré- normandes furent détruites, ruinées. La région se déchristianisa.

Il faut attendre le début du 11e siècle pour ne plus voir de bandes Vikings. En 1047 Guillaume le Bâtard (le Conquérant après 1066) battit à Val es Dunes les seigneurs et barons du Cotentin et du Bessin attachés à leur indépendance et imposa son autorité sur l’ensemble du duché de Normandie ouvrant une période de sécurité et de prospérité.

Dès 1032 le duc de Normandie Robert le Magnifique, père de Guillaume le Conquérant, avait fondé l’abbaye de Cerisy-la-Forêt, la première à l’ouest de son duché. Le siège de l’évêque de Coutances avait été rétabli en 1024.

Avec l’ordre régnant et les richesses venues d’Angleterre après la victoire à Hastings en 1066, une nouvelle période s’ouvrit avec la construction de grandes abbayes romanes.

L’abbaye de Cerisy-la-Forêt proche de Moon fut principalement bâtie entre 1080 et 1100. De nombreux chantiers de construction d’abbayes opulentes et d’églises importantes occupèrent et retinrent une main d’œuvre qualifiée qui travaillait les matériaux nobles, comme la pierre de Caen.

L’art roman s’appliqua par décalage à la fin du 11e et au cours du 12e siècle aux petits édifices du monde rural de l’époque avec le rétablissement des sanctuaires paroissiaux de notre région comme Moon.

Utilisant des matériaux plus locaux, moins nobles, on fit appel à une main d’œuvre et à des artisans locaux pour édifier des églises en pierre dans les campagnes alors qu’existaient encore des sanctuaires et des édifices en bois. Le manque de transports expliquait la difficulté de se procurer en abondance de la pierre de qualité. Par voie de terre, 20 km étaient un maximum. La voie d’eau permettait d’importer davantage. Le matériau noble restait donc réservé aux parties à valoriser, le décor restait pauvre.

Le décor géométrique, selon des historiens, serait un art caractéristique des artisans menuisiers liés à une tradition de sculpture sur bois, d’origine celtique, anglo-saxonne ou nordique. L’emploi de matériaux locaux pour l’appareil des édifices, disposés souvent en arêtes de poisson ou en épis, traduisait quant à lui, une autre activité, celle de nombreux maçons habitués à ce mode construction traditionnelle depuis l’époque romaine

Avant les Vikings, au temps des Mérovingiens et Carolingiens, existait-il un édifice chrétien en bois à la place de cette église en pierre à Moon ? Nos campagnes furent évangélisées tardivement, seulement à la fin du Ve et surtout au VIe siècle car les divinités et rites païens imprégnaient fortement nos régions.

Saint-Vigor fut évêque de Bayeux de 513 à 528. La légende dit que Saint-Vigor avait réussi à emprisonner un dragon (symbole des idoles païennes) qui terrorisait les terres de Volusien, en l’attachant par son cou avec une étole de laine et le noya. En remerciement, Volusien lui donna les terres de Cerisy et 25 villages pour y fonder une abbaye. Moon n’est qu’à 8 kilomètres de Cerisy.

Installé sur une hauteur bordant la vallée de l’Elle, ce lieu de culte aurait pu être auparavant consacré à une divinité païenne (10), puisque selon les toponymistes Moon fut un village gaulois (Magodunum). Ensuite ce lieu de culte païen devint un lieu du culte chrétien, comme le fit Saint-Vigor avec le Mont Phaunus (à Saint-Vigor le Grand) en y détruisant le temple païen pour le remplacer par un monastère. Ce lieu d’un culte païen à Moon ne reste qu’une hypothèse bien difficile à vérifier.

Un édifice qui a subi des transformations.

Cette lecture des temps nous montre bien toute la complexité d’une datation avec l’adaptabilité des églises. Leurs agrandissements, leurs restaurations dans le temps ne permettent pas souvent de les rattacher à un seul style. L’église de Moon sur Elle n’y échappe pas. Surtout gothique d’aspect, il reste toutefois possible de faire remonter certains de ces éléments à l’époque romane du 12e siècle, soit plus de 900 ans.

Au XIX° siècle de nombreux travaux furent entrepris : la pause de la chaire en 1814, les 2 autels latéraux confectionnés avant 1822, la voute en lambris en 1819 (9), la pose du tableau de l’Immaculée- Conception au cœur du retable en 1824 (9), la couverture en ardoise en 1826, le pavage de l’église en 1840, la réalisation des stalles en bois dans le choeur au XIXe, la restauration du beffroi en 1853. La chaire fut réalisée par le menuisier de la paroisse Pierre Matheville (9). Elle a été placée dans l’église d’abord côté sud le samedi 26 février 1814 veille de l’annonce du Carême (7). Elle fut déplacée ensuite en 1856 côté nord.

La sacristie (incendiée le 26 mai 1857 ?) fut reconstruite en 1902 par Charles Morin, architecte de Caen ainsi que les contreforts du chevet du chœur.

Avant de quitter l’édifice, il faudrait pouvoir se le remémorer dans son écrin végétal, celui de notre bocage. Jusqu’au milieu du 19e siècle, l’église était entourée d’arbres, de pommiers. Nous avons retrouvé dans le registre paroissial l’inscription, en date du 10 septembre 1747, de la vente des pommes  du cimetière. L’abbé Quesnel signalait que vers 1850, un certain nombre de pommiers « pour la salubrité des lieux » furent abattus, mais que 10 jeunes pommiers étaient à planter dans la partie nord du cimetière alors inoccupée, c’est à dire vers la vallée et le château. Deux arbres de la haie du cimetière avaient été abattus en 1848 pour faire le plancher du clocher à restaurer

Neige 1997

Sources:

  • 1)Voyage archéologique dans la Manche, tome 2 – Charles de Gerville 1818-20 page 166.
  • 2)Répertoire départemental et récolement en date de 1999 et de 2007 avec la conservatrice déléguée des Antiquités et Objets d’Art de la Manche.
  • 3)Registres paroissiaux de Moon (BMS) 1625-1683 (Archives départementales de la Manche, 5 Mi 1537).
  • 4)Rapport Montalivet-Clément dans les Eglises du département de la Manche de 1750 à 1820, docteur Michel Guibert, tome 2, page 91 – 2011.
  • 5)La Manche Libre du 29 juillet 1984, témoignage de Mr Turmet maire de Moon
  • 6)Cadastre napoléonien de Moon (parcelles 468-469-470 section C4)
  • 7)Bulletin paroissial, 1966-68, de l’abbé Quesnel, essai d’une histoire locale.
  • 8)La sculpture romane en Normandie de Maylis Baylé dans Art de Basse Normandie.
  • 9)Actes de catholicité de Moon (Archives départementales de la Manche page 9, 6 MI 128.
  • 10)Ecritoire de Sylvaine Piette, conférencière, sur l’église de Moon (février 2022).
  • Photos Gilbert Lieurey.