3 témoins de Moon-sur-Elle de l’été 44, 3 récits
Lors des 50e et 60e anniversaires de la Libération, Edouard Jeanne, Pierre Labbé et André Pallix , 3 jeunes de l’été 1944 ont rédigé sur un cahier pour Edouard, ou sur des feuillets pour Pierre et André leurs souvenirs de ces événements mêlés aussi à quelques réflexions sur ces faits de guerre. Ces documents qu’ils m’ont prêtés peuvent nous éclairer, à l’occasion du 80e anniversaire, sur l’expérience de cette Libération
Edouard Jeanne, habitant au Carrefour de l’Herbe à Chasles à Moon-sur-Elle.
Edouard Jeanne avait 18 ans en 1944. Il était le fils d’un cheminot et apprenait le métier de boucher, métier qu’il exerça ensuite au Quartier de la Gare. Lors du 60e anniversaire du Débarquement, il me prêta ce cahier qu’il avait rédigé au cours des années précédentes. Au récit des événements qu’il a vécus en juin 1944, il ajouta quelques réflexions sur le conflit. Edouard participa à la construction du Mur du Souvenir, situé à Saint-de-Savigny, au milieu des années 1990.
Jusqu’au jour où les Allemands installèrent des postes de DCA
Le dépôt de Lison fut dès 1942 mitraillé toutes les semaines, afin d’immobiliser les locomotives. Cinq des cheminots du dépôt ont payé de leur vie ces attaques, sans compter les mécaniciens et chauffeurs de Granville, Mézidon, Caen et d’ailleurs. Au début des mitraillages, la RAF se présentait au-dessus de l’objectif à atteindre en décrivant trois tours en rase-mottes, ce qui permettait aux cheminots de se mettre à l’abri, jusqu’au jour où les Allemands installèrent des postes de DCA, un dans le champ de Mr Pézeril plus un projecteur, un dans le champ de Mr Lebouvier, un sur un wagon au bout du triangle qui servait à tourner les machines, plus un sur chaque train.
Le premier avion qui fut abattu par les Allemands voulut que ce soit un avion allemand, pris au dépourvu malgré la sirène d’alerte. Les canonniers tiraient souvent au dépourvu, vue la rapidité des chasseurs anglais qui débouchaient du petit bois de la « Bouque d’Elle ». Trois veaux dans les marais en furent victimes. Cela dura jusqu’au 6 juin.
Le quartier a été détruit sans faire de victimes
Au mois de mai 1944 la gare a été bombardée, de la maison de Mme Jenas, actuelle charcuterie, jusqu’à la rue du Marais. Le quartier a été détruit sans faire de victimes. A l’abattoir (chemin de l’Abattoir) où je travaillais, nous étions aux premières loges, à 200 m à vol d’oiseau du dépôt. Quant la DCA tirait, il fallait faire du plat ventre le long du mur ou dans un fossé, où les branches des arbres nous tombaient sur le dos. Le chef du poste de la DCA déjà âgé, non-fumeur, chinait du tabac aux soldats, qu’il distribuait aux cheminots français.
Début juin 1943, ils abattirent un chasseur de la RAF, piloté par un Canadien, Flying officier Thomas M. Pethick, qui s’écrasa sur la gare d’Airel. J’ai pu voir son corps, à demi carbonisé, qu’un officier allemand retournait du pied, après l’avoir découvert de sa bâche. Enterré dans le cimetière d’Airel, sa tombe était bien entretenue et fleurie à chaque cérémonie dans la commune, chose qui ne plaisait guère aux Allemands. Mr Gaston Bernard, maire d’Airel, ancien combattant de 14-18, n’a jamais cédé. Un autre avion anglais fut descendu à Cartigny. Puis le dernier, le 8 juin (en fait le 6 juin 1944, celui du Lt William MC Gowan), tomba près de la ferme de » La Vallée » à Moon-sur-Elle.
Un bi-moteur américain, suite à un ennui mécanique, tomba dans la côte du Haut-Chêne sur Lison, derrière la maison des époux Drouin. Quatre des membres de l’équipage sautèrent en parachute et furent faits prisonniers. Dès le lendemain, ils embarquèrent par le train sous bonne escorte, direction l’Allemagne. Qu’ils avaient fière allure malgré leur situation, vêtus de leur blouson, de leur casque de cuir, de leur pantalon et bottes rembourrées de peau de mouton.
Un avion allemand tomba dans le Chemin du Taillis
Un avion allemand qui s’était attaqué à une escadrille américaine fut descendu et tomba dans le Chemin du Taillis, derrière l’actuelle maison de Mr et Mme Brottin Marcel. Le pilote qui déclencha son parachute, échoua près de la ferme de Mr Garrec. Je le suivis des yeux et fut le premier sur les lieux. A son air et son jargon, il me fit comprendre que sa cheville était blessée. Avec Mr et Bernard, nous lui avons immobilisé la jambe avec des branchages et de la ficelle. A ce moment une patrouille (allemande) déboucha d’un fourré, nous ordonnant de nous lever et de mettre nos mains sur la tête, nous tenant en respect. Pendant ce temps, l’aviateur grimaçant de douleurs leurs fit comprendre que nous avons essayé de le soulager. L’officier, après nous avoir remerciés et de s’excuser, nous fit rabattre nos mains. Il demanda avec le peu de français qu’il parlait si Mr Garrec et Bernard avaient un des leurs, prisonniers en Allemagne. Leurs réponses furent négatives. A mon grand regret, je n’ai pas osé dire que j’en avaient, soit oncles ou cousins. Cela n’aurait peut-être rien changé à la situation.
En 1944, c’est-à-dire après le 6 juin, sur une vingtaine de locomotives du dépôt de Lison, une seule est sortie indemne, « la Bossue » en jargon cheminot, la « 140-555 ». Le cuisinier de la DCA, nommé Herman, partageait les fourneaux de l’hôtel de l’Ouest, tenue par Mr et Mme Leboulanger. Il me demandait de lui tuer toutes les semaines un veau pour améliorer le menu des soldats. Chose que je refusais, prétextant trop de travail, seul comme ouvrier boucher, puisque mon chef Albert Lezin était requis en Allemagne. Au grand désespoir de ma mère qui, pendant, un certain temps, avait peur des représailles. La chose a bien fini.
Nous couchions tout habillés et à la déroulée
La veille du Débarquement, avec le cheval et le banneau, j’ai déblayé, afin de récupérer le bois de chauffage et des décombres de la boucherie, évacuée dès le début de mai, à la Pomme d’Or chez Mme Yvrande. La journée très calme, malgré que nous sentions les Allemands très préoccupés et surtout nerveux, il y avait de l’électricité dans l’air. Ce jour-là, comme je prenais 18 ans le 13 juin, j’avais droit à la carte du tabac dont je touchais ma première décade. Depuis le premier bombardement, habitant chez mes parents au « Carrefour Chasles », nous allions coucher le soir venu, chez Mr et Mme Lebarbenchon dans une de leurs étables au Rachinet, plus connu sous le nom « Château des Tiques ». Nous couchions tout habillés et à la déroulée sur des fagots servant d’isolant, de la paille de matelas. Nous étions une bonne trentaine avec le fermier et leurs six enfants. Familles Jeanne : 7, Touroude :1, Lacotte : 5, Giard : 6, Blanchard : 4, Deguillard : 2, Manchec : 2, Lagranderie : 1, Levallois : 3.
Nous avons aperçu le ciel tout illuminé
Le 5 juin, nous avons rejoint notre dortoir comme de coutume. Vers minuit, le bruit des canons nous a réveillés, à droite en regardant vers la mer. Tous debout, nous avons aperçu le ciel tout illuminé et la canonnade qui n’arrêtait pas. Le sol tremblait sous nos pieds, pas question de fermer l’œil. Cette fois nous pensions au Débarquement, depuis le temps que nous en parlions. Viendront-ils ? Viendront-ils pas ? Vers 5 heures et demie, plus de bruit, que le passage d’avions plus sur la côte. Victoire ou échec comme à Dieppe en 1942. Mon père mécanicien au dépôt de Lison nous quitta pour assurer un train sur Isigny-sur-Mer. Arrivé sur le lieu du travail, le chef du dépôt allemand le reçut, avec le peu de français lui dit « Mr Edouard, grand malheur, Tommys débarqués, vous, retour chez vous ». Il lui donna un vélo français, (mon père) de nous apprendre que le débarquement avait réussi. Chose qui nous fut confirmée par Mr Levallois qui possédait un poste à galène. Nous étions au courant de l’évolution et de la progression des troupes alliées.
Le pain manquait au menu
Le ravitaillement en beurre et farine et bien d’autres choses ne manquèrent pas grâce aux wagons restés en rade à la Gare. Certains contenaient des colis que les soldats allemands envoyaient chez eux. Les femmes faisaient de la galette. Le pain manquait au menu. Avec le vélo de mon père, je suis allé à Tournières à la boulangerie Moreau. J’en suis revenu bredouille.
Le lendemain, direction Saint-Clair-sur-Elle, avec Albert Ladune et Désiré Touroude, afin de ramener quelques miches sur les deux boulangeries. Pas de résultat, ils n’avaient pas réussi à faire du pain. Dans le bourg de Saint-Clair, pas âmes qui vivent, les habitants avaient suivi le tract qui nous invitait à rester à l’abri. Sur le point de repartir, un soldat allemand à bicyclette nous arrêta et nous ordonna de nous aligner le long du mur de la boucherie Auvray les bras en l’air. « Défendu de circuler, chercher grand officier, moi retour, compris ». Après qu’il eut disparu au tournant de la poste vers Couvains, nous primes nos jambes à nos cous par le chemin de la Fontaine Saint-Clair. Le chemin était encombré de soldats allemands qui dormaient. C’est un miracle d’avoir réussi à nous tirer d’une mauvaise posture.
Après avoir passé le Pont de la Pierre, il fallait couper à travers champs, car le bourg de Sainte-Marguerite-d’Elle était investi d’Allemands au grand désespoir de Désiré Touroude qui avait projeté de voir la fille de Mme Ferdinand, qui devint plus tard sa femme. Rendez-vous manqué. Arrivés vers la maison Poirier, blottis derrière le talus du champ, ce furent les bruits des camions qui venaient de la Pomme d’Or qui passèrent sur la route, pas de camions, mais trois autobus parisiens aux couleurs blanc et vert bondés de soldats allemands. C’est sans pain que nous avons regagné la ferme du Rachinet. La corvée de galettes avait repris de la vigueur.
Après que la DCA ait abattu leur dernier avion allié (l’avion du Lt William McGowan le 6 juin), les avions sont revenus à quatre et ont anéanti tous les postes de DCA sous un déluge de bombes et de mitraillage. Dans la fin de l’après-midi, dans les champs devant les bâtiments de la ferme, nous avons aperçu trois soldats allemands qui longeaient la haie, dont l’officier qui était responsable du poste de DCA, près de l’abattoir où je travaillais. Il me reconnut « Edouard, grand malheur la guerre, beaucoup de soldats capout » et de lui répondre « finie la guerre », « nein ». Ils repartirent à travers champs, ce sont les seuls que nous avons vu pendant ces trois jours.
Un avion prit le chemin en mitraillant et lâcha deux bombes
Les double-queues, avions américains très redoutés des ennemis, firent beaucoup de ravages sur tout ce qui bouge. Repérée, sans doute la famille Guérin – Ladune ne s’était pas mise assez à couvert, un avion prit le chemin en mitraillant et lâcha deux bombes. Une n’a pas éclaté, mais la seconde fit un mort, le fils de Mr Guérin. A quatre, enveloppé dans une couverture, nous l’avons transporté à la nuit tombante à la ferme. Un éclat avait ouvert le côté.
Désiré Touroude est allé à Saint-Clair commander un cercueil chez Mr Leprovost, menuisier du bourg, cercueil promis pour le lendemain. Désiré et Henri Pézeril, avec la jument et la carriole de Mr Cauche, partirent pour Saint-Clair dès le matin. Vers 10 h, Désiré revint seul. L’équipage et Henri furent réquisitionnés par les Allemands. D’après Henri, il ne fut pas maltraité. Il suivait les ordres comme tous les soldats en convoi la nuit, à couvert le jour. Après ce long parcours, il arriva du côté de Marigny où un officier lui demanda son identité. Sur la réponse d’Henri, il le libéra « retour chez vous ». Mais au moment de reprendre les guides de la jument, l’ordre lui fut donner de repartir seul. Ce n’est que plusieurs jours après, que Henri nous a rejoint, après avoir traversé les lignes allemandes et américaines et s’être retrouvé chez ses oncle et tante Mr et Mme Décôt sur Saint-Clair, route de la Meauffe, sans carriole, ni « Mouvette » le nom de la jument.
Vendredi matin 9 juin, Désiré, avec un camion à bras, est allé chercher le cercueil. Nous avons enterré le pauvre André au cimetière de Sainte-Marguerite d’Elle, sans cérémonie. Dans la matinée, Mr Levallois, d’après son poste, nous dit que les Américains étaient à Isigny. Après le repas de midi, tout était calme dans notre secteur.
Quand j’aperçus l’étoile blanche peinte sur le char, plus de doute, c’étaient nos libérateurs
Vers 15 heures, des bruits de moteurs nous firent comprendre qu’ils ne devaient pas être bien loin. J’entrepris de monter au grenier et par la lucarne, muni d’une paire de jumelles, je pus distinguer plusieurs véhicules qui descendaient le « Haut-Chêne ». J’ai vite descendu de mon observatoire. Sans doute repérés, les balles nous sifflaient aux oreilles. Comme la fusillade prenait de l’importance, c’est sagement que nous nous sommes mis à l’abri dans la grande cave voûtée de la ferme. Sans résistance, ils furent vite à La Pomme d’Or. Le calme revenu, sous prétexte d’une envie pressante, je demandais la permission de sortir de la cave. Chose accordée, une fois dehors, en courant je pris la direction de la ferme de Mr Brotin, caché dans l’encoignure du mur, j’aperçus des soldats et le canon d’un char. Amis ou ennemis ? un champ de pommier me séparait de la route montant la côte de la Fotelaie.
Mon mouchoir que j’avais attaché au bout d’un bâton et que j’agitais attira l’attention. Ma présence fut remarquée par un soldat qui de la main me fit signe d’avancer. J’obéis tout en marchant d’un pommier à l’autre. Quand j’aperçus l’étoile blanche peinte sur le char, plus de doute, c’étaient nos libérateurs. De chance, le soldat qui me fouilla parlait très bien le français. Il était de souche canadienne, me demandant s’il y avait des Allemands dans le coin, me présentant une carte du secteur. Je lui indiquais Sainte-Marguerite d’Elle, Saint-Clair sur Elle et le chemin du Pont de la Pierre.
Une mitrailleuse avec ses servants était pointée, direction le haut de côte. Vu le tas de douilles, elle avait beaucoup tiré. Les soldats montaient de chaque côté de la route, en file indienne. Le char tira un obus qui fit un énorme trou dans la maison de Mr Leboidre. Bien placée, elle aurait pu contenir des Allemands. En m’invitant de repartir, les Américains me donnèrent des paquets de cigarettes, du chewing-gum, du café en sachets, des boites de conserves. Il était possible qu’ils se replient. La ligne de chemin de fer était leur objectif. La famille Bouillet à la ferme de l’église confirme qu’elle n’avait rencontré aucun ennemi.
Et ce sont les poches pleines que je suis arrivé à la ferme en annonçant que les Américains étaient bien arrivés. C’est le 9 juin, un vendredi vers 16h 30. Inutile de vous dire que tout le monde est descendu pour voir nos libérateurs. Mais après une distribution de toutes choses dont je parle plus haut, ils nous refoulèrent afin de ne pas encombrer la route. Quelques instants plus tard, le petit-fils de Mr Guérin, Jacques Finel vint nous chercher pour éteindre l’incendie de leur maison, dû à un charriot allemand chargé de munitions, touché par un obus explosé. Impossible d’approcher, qu’aurions-nous pu faire avec nos sceaux d’eau. Nous avons fait demi-tour, un soldat à demi carbonisé gisait au pied du poteau téléphonique, un autre étendu sur le dos ne donnait plus signe de vie. La haine que je ressentais depuis l’arrivée des Allemands, depuis l’occupation, se transformait en pitié car devant moi gisait, non plus un ennemi, mais un « Soldat ». Les deux chevaux à moitié dételés furent récupérés par Mr Giard, qui soigna l’un d’eux ,blessé à la joue par un éclat.
Avertir qu’il y aurait ce matin une vente de viande à la ferme au Rachinet
A peine rentrés, on me cherchait pour voir une vache qui ne voulait pas se lever afin de traire. Avec du renfort, nous avons réussi à la tourner et c’est là, que nous nous sommes aperçus qu’elle avait reçu sans doute une balle dans la cuisse, vu le filet de sang qui coulait. Elle appartenait à Mme Giard. Il fut décidé que je l’achève, afin d’en tirer profit. Je partis à La Pomme d’Or à travers champs, espérant que les couteaux, sacs et couperets étaient à leur place, dans l’appartement qui nous servait de boucherie. La porte fermée à clef, personne dans les environs, avec un morceau de fer, je forçais le grillage et réussit à entrer dans le local. Vite, je récupérai les outils dans un sac de toile. Revenu sur place, j’assommais la vache, la saignais, sur un chartil muni d’un moulinet et d’un lieure, nous avons chargé la bestiole. Il est vrai que les bras ne manquaient pas, il fallait faire vite, car la nuit, malgré le mois de juin, ne tarderait pas à tomber. Le dépeçage fut fini à la lueur des bougies et lampes à carbure. Avec l’aide de plusieurs hommes, nous avons réussi à la pendre, afin que je puisse la scier en deux.
Tôt le lendemain matin, après une nuit réparatrice, j’entrepris avec l’aide de mon frère Raymond, le découpage de la bête à peine refroidie. Mr Giard, marchand de légumes et de fruits, possédait une balance à cadran. Après quelques hommes furent envoyés dans les environs avertir qu’il y aurait ce matin une vente à la ferme au Rachinet. Le kilo de rôti et beefsteak 30 frs et 20 frs le pot au feu suivant les catégories d morceaux. A13 heures, il n’y avait plus trace de vache.
Pendant trois semaines, c’est le travail que j’ai effectué, tantôt à une place, tantôt à l’autre, jusqu’au jour que mes patrons, rentrés de l’exode, sont venus me récupérer afin de rouvrir la boucherie et que la vie reprenne son cours. Le couvreur, Mr Pitrey, nous avait recouvert l’abattoir avec des tôles de récupération. En plus de la clientèle, il fallait ravitailler en viande Sainte-Marguerite d’Elle. Mr l=Lefrançois Maurice en avait pris la charge. La cuisine se faisait dans les roulantes récupérées et que les Allemands avaient abandonnées.
Nous avons, par l’avance très rapide des Américains, pu être très vite libérés
La malchance a voulu qu’elle tombe sur les épaules de la famille Guérin. Ils avaient perdu déjà un fils au bombardement de Dreux en juin 1940. Leur deuxième fils, le 8 juin 1944 et la seule maison détruite, fut la leur, dans le Quartier du carrefour. Nous avons, par l’avance très rapide des Américains, pu être très vite libérés. Nous n’avons pas connu le déferlement des obus qui firent tant de ravages où ils tombaient. En lisant plusieurs livres relatant le Débarquement, je dirai que nous n’avons rien vu. Au prélude de l‘attaque dite de l’Elle, les tirs de barrage ont commencé chez Lecanu, le Pont de la Pierre, Saint-Clair, la route Saint-Clair, Saint-Jean de Savigny, puis Couvains et les autres communes jusqu’à Saint-Lô. Le canton de Saint-Clair a eu à déplorer 144 morts civils sans compter les réfugiés.
Les obus passaient au-dessus de nos têtes, vraiment cela était infernal
Quand les batteries de 155 mm postées sur les hauteurs de Lison se mettaient en action et que les obus passaient au-dessus de nos têtes. Vraiment cela était infernal et ça, pendant des heures entières. Les tirs étaient dirigés par un avion de reconnaissance appelé le Mouchard. Face à l’usine Galliot dans les champs, il atterrissait et repartait après avoir fait le plein d’essence. Trop mouillants. « les Travers » près de Mr Lecanu, en bordure de la route de la Forge-Fallot, devinrent le nouvel aérodrome jusqu’à l’avance sur Saint-Lô.
Pour libérer Saint-Clair, les Alliés avaient projeté de passer par le chemin du Pont de la Pierre. La résistance allemande, bien cantonnée dans les talus opposés, mit en échec cette attaque, qui couta de lourdes pertes des deux côtés. Ils passèrent par le Pont-Jourdan où trois chars américains furent détruits par un canon antichar posté dans l’avenue du Château de Rochefort. Repéré, il fut vite détruit. Saint-Clair a été libéré le 13 juin.
Après ce fut la bataille des Haies. Quand on pense que pour arriver à Moon-sur-Elle, ils ne mirent que deux jours et demi, et que Saint-Lô distant d’une douzaine de kms n’a été libéré que le 18 juillet 44, 42 jours après le 6 juin. Libre aussi Airel le 9 juin (en fait le 16 juin), Saint-Fromond que le 7 juillet. Il fallait passer la Vire sur le seul pont malmené par les Allemands. Les batailles furent très dures.
Dans le champ appartenant à Mr Lemoigne plombier (rue du Stade) s’effectuait l’identification des soldats morts des deux côtés. Par camions, ils arrivaient et repartaient vers les cimetières de La Cambe. Après les Américains relevèrent leurs morts pour le grand cimetière à Colleville-sur-Mer.
Pierrre Labbé habitant au Chemin du Taillis à Moon-sur-Elle
Pierre Labbé habitait avec ses parents au Chemin du Taillis. Son père était cheminot. Il me prêta ces feuillets, écrits 50 ans après les événements de juin 1944. Agriculteur retraité, il participa à la construction du Mur du Souvenir à Saint-Jean de Savigny au milieu des années 1990.
Pierre Labbé et la stèle de l’aviateur William McGowan
La 29e DI débarqua sur les plages de Saint-Laurent et Vierville nommées Omaha-Beach
Le 6 juin 1994, c’était le 50e anniversaire du Débarquement sur les côtes normandes. Ce fut fêté dans toutes ses régions. Que de souvenirs, nous ne pourrons jamais oublier. J’allais avoir 15 ans, c’était grandiose, je n’avais pas les yeux assez grands.
Ils ont débarqué à la pointe du Hoc, où les Rangers ont eu tant de jeunes soldats américains qui ont laissé leurs vies sur ces plages, quelques pas, quelques mètres pour nous libérer des Allemands qui occupaient la France depuis quatre ans. Ce fut de même à Arromanches, un travail énorme.
La 29e DI débarqua sur les plages de Saint-Laurent et Vierville nommées Omaha-Beach. Les Américains débarquèrent aussi à Sainte-Marie du Mont, nommée Utah-Beach. Ils sont descendus également du ciel en parachutes, malheureusement les marais étaient inondés. Les planeurs atterrissaient en catastrophe. Quand une haie se présentait, ce fut très difficile. Pour ces soldats, quel courage ! il le fallait, leur vie en dépendait. A Moon-sur-Elle, situé sur la départementale entre Isigny-sur-Mer et Saint-Lô, 13 kms de distance de chaque côté. Ce fut la première commune de la Manche libérée le 9 juin, en fin d’après-midi (Les communes sur le secteur d’Utah-Beach furent libérées les premières, avant Moon-sur-Elle).
Mes parents avaient accueilli ces personnes, nous étions 18 à la maison
Depuis un certain temps, les avions, des Thunderbolt P47, venaient mitrailler le jour, bombarder une nuit la gare. Le dépôt et la gare de Lison, sur la ligne Paris-Cherbourg, étaient importants avec 400 cheminots qui y travaillaient. C’était devenu dangereux d’habiter dans ce secteur. Les habitants effrayés, partaient se réfugier plus loin vers la Pomme d’Or. Mes parents avaient accueilli ces personnes. Nous étions 18 à la maison. Ils se trouvaient rassurés. Papa leur avait dit : » Moi, je ne bouge pas, restez si vous le voulez avec nous ». Il n’avait pas peur, il avait fait toute la guerre de Verdun.
Moi, j’avais bientôt 15ans, ma sœur 20 ans, elle était malade. Heureusement pour Mireille, car elle travaillait à Saint-Lô. Les premières bombes sont tombées dans la rue où elle habitait, chez Desclomesnil, actuellement au carrefour de la rue Saint-Thomas et de la rue de la Marne.
J’étais fort impressionné, je claquais des dents
Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, un grondement intense. Nous nous sommes tous levés, nous sommes sortis derrière la maison, dans le jardin qui était plus grand, 6 carrés au lieu des 4 de maintenant. Nous voyons au loin, le ciel tout éclairé. Nous entendions les grondements des canons. Le ciel flamboyait à l’horizon. J’étais fort impressionné. Je claquais des dents, la peur au ventre. C’était bien le Débarquement !
Dans la journée du 7 juin, Monsieur Lefort, qui habitait le château Vancamp à Moon plus bas de la maison (route d’Airel) décida d’aller faire un tout chez lui. Nous descendîmes voir si tout était normal, mais les Allemands y étaient passé et avaient laissé de nombreuses bicyclettes démontées. Ils avaient ouvert les portes et pénétrer dans la maison. Ils avaient dû partir précipitamment car, dans le sceau à charbon, une dinde à moitié plumée y était restée. Nous l’avons rapportée. Maman l’a préparée et mise à cuire pour tous.
Nous avons rapporté un cadre de bicyclette homme, deux roues, deux garde-boues, cela fera une bicyclette. Elle a été transformée en vélo de femme plus tard en 1953 lorsque je me suis marié. C’est Mr Marguerite qui faisait la réparation de bicyclettes qui l’a transformée. Je tiens à conserver cette bicyclette.
Oh surprise ! c’était un jambon dans une caisse de beurre
Le lendemain, il y avait un train bombardé et mitraillé par les avions. Le train était immobilisé, un peu plus loin que le passage à niveau de la gare de Lison. Le 9 juin, avec Mr Lefort, je suis parti en direction de ces wagons, à travers champs, voir si nous pouvions trouver de la nourriture. En enfonçant un couteau à travers une caisse, on sentit une masse dure. Nous ouvrons cette caisse. Oh surprise ! c’était un jambon dans une caisse de beurre, nous l’avons rapporté à la maison.
Comme nous étions nombreux, nous avons décidé d’y retourner avec cette fois une brouette, car nous pouvions trouver de la nourriture pour plusieurs jours. Après tout, ce train de marchandises était pour les Allemands (à cette époque nous disions les Boches ou les doryphores ou les verts de gris, mais pas trop fort, c’était risqué). En arrivant à nouveau à 50 mètres du wagon, nous vîmes deux sentinelles allemandes à chaque bout du train. Nous ne devions pas être les seuls à avoir été visité les wagons.
Sauve qui peut ! nous avons abandonné la brouette que nous n’avons jamais récupérée. Nous sommes partis en prenant le pas de course à travers les haies. Les grondements se faisaient entendre, ils n’avaient pas cessé. J’ai passé des brèches qui étaient garnies de planches de la scierie de l’usine Galliot. Un passage pas très gros, mais je me suis fait si petit que j’ai réussi à passer. Nous avions de l’entraînement, car nous marchions beaucoup à cette époque-là.
J’avais perdu Mr Lefort, je me suis retrouvé seul. Je décidais de rentrer à la maison au plus vite. J’entendais la mitraille vers le « Haut-Chêne » en haut de la côte vers Lison bourg. En traversant les champs, j’ai vu les deux chevaux de Mr Galliot tués de la veille, probablement par les avions qui avaient stoppé le train de marchandises. J’ai sauté la barrière qui était en bordure de la route d’Isigny pas loin de l’usine Galliot, scierie et fabrication de caramels, qui est maintenant Malilé. Je vis un soldat allemand, le bras en écharpe et une autochenille qui reculait vers Saint-Lô devant les Américains, eux venaient d’Isigny et descendaient la côte du « Haut-Chêne ».
En arrivant au carrefour de « l’Herbe à Chasle », carrefour Isigny-Saint-Lô traversé par la route venant de Saint-Fromond-Airel vers Bayeux, sur la route en direction d’Airel, la deuxième maison à droite était brûlée et deux Allemands tués auprès de la barrière. Nous l’avions déjà vu en partant avec la brouette.
Ils ont été accueillis à bras ouverts, nous étions tous heureux
Dans la nuit du 8 au 9 juin, les Allemands ont stationné dans les champs auprès de la maison. Nous étions pourtant 18, nous n’avions rien entendu. C’est le lendemain que nous avons découvert du matériel allemand laissé dans une étable recouverte de paille auprès d’un bâtiment en dur, qui n’existe plus depuis que la maison de mes beaux-parents a été construite. Ils avaient laissé des charriots avec roues caoutchoutées et pneus gonflables.
Les Américains ont trouvé une mine par la suite dans le deuxième champ, les Allemands avaient dû la mettre cette nuit-là, nous n’en savions rien. L’arrivée des Américains, c’était vers 16h 30 environ que Maman qui était partie vers la laverie, est revenue en vitesse en disant : » V’la les Boches ». En fait c’étaient deux Américains qui arrivaient par le champ, juste au coin en bas près du grillage du poulailler. Ils ont été accueillis à bras ouverts, nous étions tous heureux. Deux autres sont arrivés par le chemin, mes parents voulaient leur donner à boire, mais ils avaient une énorme bouteille de champagne. Nous leurs avons donné des fleurs. En même temps, dans le chemin, les soldats arrivaient, jeep, camion.
Il n’y avait pas d’entrée de barrière derrière la maison comme actuellement. Le jardin venait jusqu’à la maison, fermé par une haie. L’entrée de la barrière était devant pour aller dans les champs où i y avait des pommiers. Il fallait passer devant la maison entre le pressoir et la petite étable qui avait une double-porte au sud. C’est dans le champ que les Américains avaient découvert la mine.
Devant, dans le champ, il y avait un noyer. Les Américains avaient disposé un camion dessous. Dans la buanderie, ils s’étaient installés à l’intérieur et avaient disposé un poste de radio, à côté une mitrailleuse avec quatre tubes anti-aériens. Elle a tiré quand les Allemands sont venus bombarder dans le chemin à Mr Pallix, où il y avait de nombreux Américains en stationnement. Les Allemands étaient en haut de la butte.
L’Américain a rapporté le casque et me l’a donné
Deux Allemands sur une moto venaient de Sainte-Marguerite d’Elle. Arrivant à la hauteur de la rue de La Corde et apercevant les Américains au carrefour, ils ont laissé tomber la moto, un a dû partir vers la rue de La Corde en courant, l’autre a fait demi-tour dans la barrière du champ à Mr Bouillet (actuellement entrée de la cour à Mr Lévêque) pour se protéger et tirer sur les Américains qui étaient au carrefour. Les Américains n’ont pas hésité, ils se sont défendus. Ils ont tiré, l’Allemand a été tué. Par la suite, un Américain qui campait dans nos champs autour de notre maison, ils étaient nombreux, a été faire une reconnaissance par la rue de La Corde, quand un Allemand monté dans un arbre lui a tiré dessus. La balle a traversé les plis de sa ranger. L’Américain s’est retourné, il a tiré sur l’Allemand de bas en haut. L’Américain a rapporté le casque et me l’a donné, il est toujours là. On a pensé que c’était le deuxième Allemand qui était sur la moto.
Après l’arrivée des Américains à la maison le 9 juin 44, nous sommes sortis voir jusqu’à La Pomme d’Or au carrefour et jusqu’à nos champs, sur la route de Sainte-Marguerite d’Elle où maintenant il y a les maisons de Mr Lieurey et Lebourgeois. Il y avait dans le fossé un bazooka avec un soldat qui surveillait la route de Sainte-Marguerite. Il avait fait un petit passage dans la haie, afin de pouvoir sortir ou rentrer dans le champ, ainsi qu’un deuxième en face de Me Robin actuellement.
De temps en temps, les Allemands envoyaient des obus qui tombaient dans le jardin de Mme Typhaine à La Pomme d’or. Une vache a été tuée chez Mme François à La Fotelaie, ferme au milieu de la côte.
Témoignage complémentaire de Marguerite Laval, réfugiée chez les Labbé au Chemin du Taillis.
Marguerite Laval était l’épouse d’Albert Laval, chef de dépôt à la SNCF, à la gare de Lison en 1944. Lors du 50e anniversaire du Débarquement, elle témoigna dans le journal La République du Centre, en date du 7 juin 1994. Seule depuis le décès de son mari, elle vit à Meung-sur-Loire en 1994, commune où elle est née.
Ils nous ont sauvé la vie en nous acceptant chez eux
Dans la nuit du au 6 juin 1944, leur maison fut entièrement détruite par les bombes. Le couple Laval avait trouvé refuge à 800 m de là, chez un fermier qui les accueillit avec d’autres réfugiés pendant quelques jours (les Labbé au Chemin du Taillis). « On avait prévenu mon mari que le débarquement allait avoir lieu sur toute la côte. On nous a conseillés de partir … au plus vite, et loin de la gare ». « Nous étions tous très solidaires à l’époque, très proches les uns des autres … d’ailleurs, j’ai toujours correspondu avec les fermiers normands qui nous ont hébergés pendant la bataille. Ils nous ont sauvé la vie en nous acceptant chez eux ! Aujourd’hui j’écris à leurs enfants qui, à l’époque n’avaient que dix ans « (Pierre Labbé âgé en fait de 14 ans et Mireille sa sœur aînée).
Dans la nuit du 5 au 6 juin, Marguerite n’en croit pas ses yeux, ni ses oreilles d’ailleurs : « On y voyait comme en plein jour, la côte pourtant à plus de 30 kms, était tout illuminée, les bruits de tir des batteries côtières étaient assourdissants … Le pire, dans ces moments-là, c’est le temps qui s’écoule entre le décrochement de la bombe (car on l’entend) et son impact au sol … ça n’en finit pas ».
« La bataille fut longue. Nous étions coupés de tout. Et, mes parents qui étaient à Meung-sur-Loire, n’avaient aucunes nouvelles, car les communications étaient évidemment coupées ».
L’un d’eux tenait une bouteille de champagne à la main
« Je reverrai toujours ces quatre militaires américains qui sont arrivés juste quelques jours après le Débarquement, derrière la ferme … Nous sommes tombés nez à nez ! ils avaient leurs tenues de camouflage avec des branchages sur le casque ! L’un d’eux tenait une bouteille de champagne à la main ! C’étaient des bons vivants pour la plupart. Ils venaient voir mon mari pour que l’on reconstruise au plus vite la ligne de chemin de fer détruite par les bombardements ».
Des bons souvenirs et des moins bons : « ils alignaient leurs morts derrière la ferme, par nationalité. On le savait, mais on évitait d’aller voir ! cela dit, même si nous avons eu peur, même si nous avons craint un moment le retour des troupes allemandes qui tenaient tête aux forces alliées, nous étions trop contents d’être libérés pour vraiment penser au danger qui nous entourait. Non finalement je garde un bon souvenir de cette époque … Mais je n’ai pas l’impression que ces événements se soient déroulés, il y a de cela, un demi-siècle ! ».
André Pallix, habitant au village de la Planche à Moon-sur-Elle
André Pallix rédigea un premier texte en 1994 sur plusieurs feuillets au moment du 50e anniversaire (l’envers d’un document date de 1994, soit au moment du 50e anniversaire). Un second texte fut rédigé lors du 60e anniversaire à l’occasion de mon entretien avec lui-même pour le bulletin municipal. Je remercie son fils Michel Pallix d’avoir prêté ce témoignage sur l’été 1944.
Avec ma sœur nous avons été leurs offrir du cidre
« Dans la nuit du 5 au 6 juin, les avions passaient sans arrêt et on entendait les bombes tomber au loin sur la côte du Calvados ». » Ils sont arrivés à Moon, à la Rampe, le 9 juin 1944 à 17 heures, ils étaient 150 soldats de la 29e DI et un Sherman ». (la Rampe est le carrefour de la route de la Castellerie avec la D 6).
« Nous avons vu les premiers soldats américains de la 29e DI du 3e Bataillon d’Infanterie. Les 2 chars sont allés tourner dans le bourg de Saint-Clair et sont revenus se placer au petit carrefour de la grande route d’Isigny à Saint-Lô, auprès du château de Moon-sur-Elle, sur la petite route vicinale qui va à Sainte-Marguerite. Ils étaient 150 fantassins et les 2 tanks Sherman.
Avec ma sœur nous avons été leurs offrir du cidre. Ils nous ont fait boire d’abord, car il y avait un soldat qui parlait le français, sa mère était parisienne, il nous a dit qu’à Isigny il y avait une femme qui en avait empoisonné avec du vin rouge.
Ils sont restés 8 jours avant d’avancer car les renforts ne venaient pas, parce qu’il y avait une grande tempête sur la mer de la Manche (La tempête qui détruisit le port artificiel en cours de construction à Omaha Beach n’eut lieu qu’entre le 19 et le 22 juin 1944). Pendant huit jours, à la Planche, nous avons été entre les Américains et les Allemands (Le 175e régiment de la 29e DI est arrivé sur la rive nord de l’Elle le vendredi soir 9 juin 1944. Les Allemands s’étaient repliés sur la rive sud de l’Elle pour constituer une nouvelle ligne défensive. La ferme de la Planche, située dans le fond de la vallée de l’Elle, se trouvait prise entre les deux lignes). On voyait sur la petite route des patrouilles qui passaient devant notre ferme. Un samedi il est venu 3 soldats américains se raser. Un est resté dehors pendant que les deux autres se rasaient ».
Après l’après-midi, les soldats américains faisaient une patrouille
« Le lieutenant qui commandait les 150 premiers soldats a été tué par un Allemand qui était dans le clocher. Après l’après-midi, les soldats américains faisaient une patrouille avec un lance-grenade. Ils regardaient dans les arbres vers la petite rue qui sort en-dessous de la ferme de la Bissonnerie, près de l’église. Pierre de Puthold et moi sommes arrivés de La Planche à la barrière du château, nous avons trouvé les soldats qui étaient en train d’essayer de démarrer une moto d’estafette allemande. Un Américain était en train d’essayer un révolver allemand. Quand la moto a débouché de dessous le cimetière, il a tiré trois balles sur le soldat qui est tombé à terre. Blessé ou mort, il était déjà enlevé par les Américains. Nous avons vu une marre de sang par terre. Pierre de Puthold leur demanda la moto, mais comme ils étaient friands de souvenirs, ils l’ont emmenée à l’arrière ».
Il a rentré par la porte principale et nous a passé sa mitraillette sous le nez
Le lendemain 4 soldats allemands sont venus le long du bief, à 60 mètres du moulin, un à tirer sur la clanche du jardin du moulin, la balle a traversé la cuisine, devant ma grand-mère, et s’est logée sous la fenêtre de la cuisine. Après ils ont passé dans le moulin et sont arrivés dans le fond de la cour de La Planche à plat ventre, avec une mitrailleuse, une G42, et le sous-officier a lancé une grenade dans la chambre sur la cuisine. Elle a coupé le pied du lit de mes parents, le pied d’une chaise et éventré les deux armoires qui étaient face à face, un éclat dans une douille de 1914 … La grenade a fait un trou dans le parquet mais la terre nous a protégés … Il a rentré par la porte principale et nous a passé sa mitraillette sous le nez. Il a crié « America », tout le monde a répondu « nous Français ». Alors il a remonté voir dans la chambre s’il y avait des Gi’s et puis après, ils sont repartis en repassant par le moulin et ils ont volé une douzaine d’œufs à ma grand-mère et 1 kg de sucre. Ils avaient faim car nous avons retrouvé les coquilles après, sur la petite route allant vers Sainte-Marguerite. »
« … Un sniper américain qui était à la fenêtre de la ferme de la Duranderie a tué le sous-officier allemand qi nous avait passé la mitraillette sous le nez, dans la cuisine, à La Planche… »
Quand les Allemands sont venus, nous étions 17 avec tous les gens qui s’étaient réfugiés à la Planche, croyant être en sûreté. Alors Papa a dit « nous allons partir cette nuit car ils peuvent revenir nous tuer cette nuit ». Nous avons couché dans le sous-sol de la maison à Micheline Roquigny, puis le lendemain, nous sommes revenus à La Planche ».
Version 1994 « Le lendemain dimanche, vers 17 heures, quatre Allemands sont venus en suivant la rivière, un s’est mis à plat ventre avec un fusil mitrailleur. Un lieutenant a lancé une grenade dans la chambre de mes parents et une rafale de mitraillette dans la fenêtre du cabinet de toilette. Après il a donné des coups de bottes dans la porte principale d’entrée. Ma mère a vite ouvert la porte et il nous a passé la mitraillette sous le nez tout autour de la cuisine. Nous étions 17 personnes avec des réfugiés de chez Lecanu et de Cherbourg. Il est monté dans la chambre, voir les dégâts qu’il avait fait avec la grenade et ils sont repartis en longeant la rivière. »
« Pendant les huit jours entre les lignes, nous avons vu 4 soldats allemands se diriger vers la grande route. 5 minutes après, les Allemands ont repassé, il y en avait un qui portait un autre soldat et un autre qui traînait une jambe. C’est pendant ces 8 jours, que les Américains sont venus se raser et que le lendemain les 4 Allemands nous ont lancé la grenade ».
Une des filles est venue trouver Papa en pleurant, dire que sa mère avait reçu une balle
A la ferme au-dessus de La Planche, vers le Pont de la Pierre, il y avait Mme veuve Aumont et ses 3 filles Marthe, Jeanne et Thérèse. Un jour, une des filles est venue trouver Papa en pleurant, dire que sa mère avait reçu une balle par un Allemand. Alors nous avons parti tous les deux, en gros sabots SVP, en courant tout le long du remblai, de notre côté, de la rivière.
Puis en arrivant par derrière la ferme, nous avons traversé la rivière, à l’abri de la maison car les Allemands nous ont tiré dessus 3 fois en allant. Mon père a fait un pansement à Mme Aumont, puis nous sommes repartis par les champs en nous camouflant pour revenir à la Planche. Après nous sommes allés au château de Moon, chercher le brancard que Mme de Puthold avait. Avec papa, ils faisaient partis de la Défense Passive pour la gare de Lison. Mme de Puthold était infirmière en 1914-18.
Après nous sommes revenus par la Planche. Nous avons demandé deux volontaires qui étaient réfugiés chez nous et puis par les champs, avec un drapeau blanc, nous avons rentré dans la ferme à Mme Aumont par derrière. Nous l’avons allongée sur le brancart dans des couvertures et sortis par devant face aux Allemands et nous l’avons transportée par la grande route d’Isigny jusqu’à chez Galliot, aux premiers soins américains. Ils lui ont fait un pansement, redonné notre brancard, et parti avec elle sur le capot d’une Jeep vers Isigny.
Mme de Puthold avait ouvert un foyer du soldat au château. Ils venaient jouer au ping-pong, lire ou écouter de la musique ».
« Les soldats américains avec leurs chaussures caoutchoutées ne faisaient pas de bruit. Ils sont arrivés à trois soldats en patrouille jusqu’au petit pont qui est en dessus de notre ferme. Ils ont entendu parler sous le pont. Ils ont lancé une au plusieurs grenades dessous et ils ont tué 4 soldats allemands qui mangeaient une dinde, qu’ils avaient volée à Mme Aumont, la propriétaire de la ferme qui est au-dessus de la nôtre ».
Le nez dans les orties. Ils restèrent à plat ventre, trois quarts d’heure
« … « Lorsque les Allemands voulurent attaquer les positions américaines, près de la rampe à la grande route, André était dans les champs avec sa mère pour traire les vaches. J’ai compté 45 grenades. On entendait les officiers américains hurler des ordres, Il s’aplatit dans un creux, au champ de la Grande Croute, le nez dans les orties. Ils restèrent à plat ventre, trois quarts d’heure, les balles tapaient partout dans les arbres … »
« Après l’artillerie américaine est arrivée par derrière chez Roland Poirier et a tiré pendant 4 jours et nuits vers Saint-Clair. Le premier obus a tombé dans l’Elle, dans les Bas Jardins, deuxième champ au-dessus de la Planche. Les Américains étaient avancés vers Couvains.
Nous avons eu une veine inouïe de pas être blessés ou tués à La Planche, les éclats d’obus tombaient partout sur les toitures, contre les murs ou dans les champs ».
« … ils montaient à l’attaque tous les jours à partir du Calvaire (L’offensive du 16 juin à partir de l ‘Eglise vers le Calvaire et la Chapelle du Mesnil-Vitey). Ils ont mitraillé, un de chaque côté. En allant chez mon oncle Alexis Pignolet, juste après sa ferme, à droite dans le petit chemin qui mène à la vallée, ils ont tué tous les Allemands d’un Etat-major … »
« Après les huit jours entre les lignes (Moon-sur-Elle fut libérée entièrement après l’offensive des 16-17 juin 1944), nous allons, ma sœur et moi, en vélo chercher du pain à Tournières, en roulant dans le milieu de la route, car sur les deux bernes, il y avait la 2ième et 3ième vague de soldats de la 29e DI qui arrivaient d’Omaha à pied, avec tout leur bardât ».
Dans les prés devant chez nous il y avait des autos blindées, des half-tracks
« Après, devant La Planche, dans les champs d’Eugène Lecanu, le père d’Alexandre, ils étaient 3 000 fantassins dans les champs de pommiers à Alexis Pignolet. Il y avait plein de GMC chargés d’obus de 105 mm. Dans les prés, devant la ferme, vers la grande route, il y avait sous les haies, plein de half-tracks (voitures blindées à chenilles) où il y avait Roger Carriveau. Sa mère était parisienne, alors il nous servait d’interprète. Son capitaine m’a posé plein de questions pendant 3 heures, debout, avec tout autour de nous au moins 50 soldats qui écoutaient sans bruit ».
« Après les huit jours, les renforts sont venus (. La commune devint une base arrière américaine pendant l’été 1944. Le front était bloqué sur Villiers-Fossard. Saint-Lô ne fut libérée que le 18 juillet 1944). Il y avait 5 000 hommes de troupe dans les champs en face de la Planche. Dans les prés devant chez nous il y avait des autos blindées, des half-tracks. Dans le champ en face de l’entrée de la ferme il y avait un GMC camion atelier, il réparait les tanks qui avaient des trous ronds dans les blindages faits par les bazookas allemands à Saint-Fromond, Cavigny ».
« Dans les 8 jours où les 3 000 soldats étaient dans les champs en face, un soir, vers 19 heures, un bombardier allemand a largué une bombe spéciale en tôle, qui s’est séparée en deux par une charge de poudre et dedans il y avait deux rangées de petites bombes remplies de billes (shrapnells ?). Il y a eu une cinquantaine de morts et blessés dans les soldats. La nuit d’après, les soldats sont venus coucher dans les bâtiments de La Planche. (Les témoignages d’habitants de Saint-Clair et d’Alexandre Lecanu datent l’événement à la fin de juillet (dans la soirée du 29 juillet). »
« Nous avons fauché du foin avec les deux chevaux au début juillet et une fois séché, le matin les soldats avaient presque tout pris pour mettre dans leur trou individuel ».
« Pendant que les 3 000 soldats étaient par chez nous, il y en avait 40, tous les jours, dans la cour et dans la maison. Ma sœur et moi, nous leurs avons distribué 3 tonneaux de cidre dans leurs petits bidons » (« qu’ils avaient pendu à leur ceinture »). « Une matinée, ils m’ont tourné la manivelle de la meule et j’ai aiguisé plein de poignards. «
Au cours de l’entretien en 2004, André Pallix précisa que le matériel américain était impressionnant. Des fils téléphoniques, partout, étaient déroulés par le Génie à partir de rouleaux fixés derrière les Jeeps. Près de la ferme de La Planche, c’étaient des douches pour la 29e DI. Un appareil pour purifier l’eau était également installé ainsi qu’une réserve d’eau aménagée avec des bâches en toile. Chaque jour des bidons étaient remplis pour être emportés par camions sur le front.
C’est lui qui m’a fait tirer au Garand pour la première fois
« C’est là, que j’ai connu William Forga. Il avait fait le débarquement en Afrique du Nord, en Sicile et à Omaha. Il conduisait un GMC. Il montait la garde la nuit, et venait avec nous dans la cuisine. C’est lui qui m’a fait tirer au Garand (Le M1 Garand était le fusil du GI, un fusil semi-automatique ayant une portée de 550 m) pour la première fois. Son frère qui avait 18 ans a été tué sur le sable à Omaha.
« William nous a écrit jusqu’en Allemagne. Mlle Jourdan, institutrice à l’école des filles à Moon, nous traduisait ses lettres. La dernière nous disait qu’il partait pour le Pacifique. Mlle Jourdan a demandé de ses nouvelles à l’ambassade des Etats-Unis à Paris. Ils ont répondu « Porté disparu » ».
Après, tous les soldats sont partis se battre pour prendre Saint-Lô et la Normandie et la France.