1789: cahier de doléances de la paroisse de Moon

1789: cahier de doléances de la paroisse de Moon

19 octobre 2022 0 Par Gilbert LIEUREY

Dimanche premier mars  1789 (11), au son de la cloche, les habitants de Moon se réunirent pour rédiger les articles de leur cahier de doléances. Etaient convoqués « les habitants du Tiers-état âgés de 25 ans, ayant domicile ou habitation dans la paroisse, et compris au rôle des impositions ».

Reste à imaginer  nos paroissiens assemblés devant l’église et son porche pour élaborer ce cahier en ce début mars, à moins que la réunion publique se soit déroulée  sur la place du village, située entre le cimetière et le château.

Représentation naïve de la rédaction du cahier, sous le porche de l’église de Moon

 (inspirée de l’image de  JL Beuzen)

Fiche : résumé de l’article

Nous avons la chance de disposer d’une copie du cahier de doléances de la paroisse de Moon-sur-Elle rédigé en 1789 lors de la convocation des Etats-Généraux. Cette copie fut inscrite dans le registre du conseil municipal du 12 mai 1889 lors de la célébration du centenaire de la Révolution. Cette copie présente l’intérêt de donner les noms des paroissiens de Moon qui ont élaboré et signé ce cahier.

La rédaction du cahier de Moon

Réunis le dimanche premier mars 1789 pour la rédaction du cahier de doléances, les hommes de la paroisse de Moon rédigèrent leur cahier de doléances.  Ils dénonçaient les impôts jugés trop lourds, payés par le seul Tiers-Etat, les abus des privilégiés surtout ceux du clergé avec le poids de la dîme qui ne profitait guère à la paroisse, et revendiquaient des réformes politiques pour le bonheur du peuple tout en réaffirmant leur fidélité à la personne du roi.

les députés de la paroisse au baillage de Thorigny

Jacques Gislot et Charles Le Duc furent désignés comme les 2 députés de la paroisse pour aller porter le cahier de doléances à l’Assemblée du baillage à Thorigny. Charles le Duc fut même nommé commissaire avec 14 autres, pour la lecture des 59 cahiers des paroisses du baillage, afin de rédiger un cahier de réduction. Charles Le Duc fut choisi avec 12 autres commissaires de la campagne, pour représenter le Tiers Etat du baillage de Thorigny à l’Assemblée des 3 ordres du lundi 16 mars qui se tenait au grand baillage de Caen.

le cercle de notables locaux

Les signataires du cahier de doléances de Moon appartenaient au cercle des petits notables ruraux de la paroisse, de vieilles familles de Moon, des laboureurs. Ces notables locaux dirigèrent ensuite la nouvelle municipalité, créée avec la Révolution française. Firmin Lefèvre, Jean Delalande, Julien Demagny, Louis Exupère Le Clerc furent maires. Guillaume Lelaizant, Jacques Piquenard furent officiers municipaux et Denis Le Canu capitaine de la Garde nationale.

Dans les premiers temps de la République, ils firent planter un arbre de la Liberté sur le planitre (place du village), situé entre l’église et le château du seigneur. Ces notables, à la tête de la commune, furent eux-mêmes confrontés à la colère de leurs propres concitoyens. Une émeute de la faim éclata en juin 1794, dénonçant la vie chère et les réquisitions de la République.

Article

La convocation des Etats généraux de 1789

Le 24 janvier 1789, le roi Louis XVI envoyait la lettre de convocation des Etats généraux à tenir à Versailles. La question des finances de la monarchie, plongées dans une situation catastrophique, en était la cause, Louis XVI n’ayant pu imposer les réformes de l’impôt. Il dut se résoudre à convoquer les représentants des trois ordres. Ils n’avaient plus été réunis depuis 1614 avec l’affirmation de la monarchie absolue aux XVIIe et XVIIIe siècles. L’assemblée paroissiale à tenir fut annoncée lors des prônes des 22 février et 1er mars 1789 en l’église de Moon.

Les membres du Tiers état furent invités à rédiger « des cahiers de doléances, plaintes et remontrances » dans le cadre de leurs paroisses respectives et élire au suffrage indirect  des représentants dans le cadre de leur baillage royal, celui de Thorigny, avant le 16 mars.

Le délai était court, ce que déplorèrent les paroissiens de Moon « Pressés par le peu de temps qui nous a été donné pour nous rassembler, nous n’avons pu tracer que rapidement et sans ordre le tableau de nos doléances et de nos besoins ». Toutefois des modèles de cahiers et d’articles ont circulé et purent servir de modèle pour la rédaction des doléances.

Place ancienne de la paroisse de Moon entre l’église et le château

Porche de l’église de Moon

Le cahier de doléances de la paroisse de Moon (1)

« Nous, habitants composant la communauté du tiers-état de la paroisse de Moon, heureux de pouvoir aujourd’hui faire parvenir jusqu’au pied du trône, nos vœux, et nos réclamations, nos sentiments respectueux de reconnaissance envers Sa Majesté, pour les soins paternels, le soulagement et le bonheur de ses peuples, désirant l’accord parfait entre tous les ordres de l’Etat pour supporter les impôts sur toute espèce de revenu, dîme, aumône, ou suivant la fortune de chacun, et pour l’abolition d’une multitude de droits aussi onéreux qu’effrayants, et l’établissement d’une forme simple dans la perception, en bannissant l’arbitraire, prions nos députés chargés du présent cahier, de remontrer très-respectueusement à Sa Majesté, aux Etats généraux de la France :

1° Le besoin de rendre à la province de Normandie ses privilèges et ses Etats, et d’accorder au tiers-état du royaume un nombre de députés égal aux deux ordres réunis, ainsi que Sa Majesté en a d’avance conçu le plan, dans sa sagesse.

2° La nécessité de supprimer tous les droits établis sur les denrées et boissons de première nécessité, tels que ceux d’aides, gabelles, traite, inspecteurs aux boucheries et autres dont les frais de perception seuls écrasent le peuple sans soulager l’Etat, multiplient les privilèges et abus, sèment le trouble et la désolation dans tous les coeurs.

3° De supprimer la taille personnelle, fardeau double, par celle d’exploitation, par la capitation de la corvée, qui s’imposent au marc la livre de ces tailles.

4° De réduire au moindre nombre possible tous les impôts existant sous diverses dénominations, en supprimant tous ceux qui gênent la liberté publique, les remplaçant, si les besoins de l‘Etat l’exigent, sur des objets de luxe, et en assignant à ceux indispensables une dénomination sous laquelle chacun des trois ordres sera tenu de se conformer.

5° En conservant les assemblées provinciales, de dégager l’impôt de première nécessité de l’inquisition de cette foule d’employés de tout étage qui s’enrichit depuis si longtemps du prix de nos sueurs, en enlevant la plus précieuse partie des revenus de l’Etat. Un seul impôt qui n’aurait pas uniquement les propriétés foncières pour objet, pourrait remplacer tous ceux existants et remédierait, par l’économie de la perception, à tous les maux actuels.

6° De réformer et simplifier le tarif des droits de greffe, celui du contrôle des actes des notaires. Le premier est ruineux dans les minorités et pour tout particulier forcé de plaider ; le second expose à des amendes vexatoires que les vérificateurs ne portent que trop souvent au-delà de la valeur de l’objet qui a donné lieu aux actes.

7° De simplifier la forme et les délais des procédures, en ordonnant un terme qui fixe la durée des procès, autant que faire se pourra.

8° De solliciter un règlement pour la réparation et entretien, aux frais de chaque paroisse, de tous les chemins vicinaux, de paroisse en paroisse ; cet objet étant d’utilité » publique doit être supporté par le général.

9° De supprimer les dîmes de toute espèce ; cet impôt dont la prestation et la quotité occupent, depuis si longtemps les tribunaux de la province et le Conseil, est une source intarissable de procès. En fixant un sort aux curés, capable de les faire vivre et de soulager les pauvres, on rétablirait la confiance perdue par l’opposition d’intérêts, et tout entrerait dans l’ordre prescrit par la religion et la morale. On atteindrait le but, en retranchant partie du revenu immense  du haut clergé, des bénéfices simples et des réguliers; à ce défaut, par une somme en agent prise sur tous les biens fonds de chaque paroisse indistinctement.

10° De solliciter la prolongation de la route d’Isigny à Saint-Lô, traversant cette paroisse, conformément au vœu qu’en ont exprimé treize paroisses circonvoisines, par une requête présentée à la commission intermédiaire de Bayeux, de suite à celle de Caen et au Conseil, le 18 mai 1788. Ces deux bureaux ont admis cette requête. On attend, avec confiance, la décision du Conseil.

11° De supprimer les privilèges du tiers-état, sous quelques dénominations que ce soit, ne paraissant pas juste qu’il en conserve dans un temps où tous les ordres de l’Etat doivent concourir au bien général du royaume.

12° De demander les suffrages du tiers-état, à l’effet de voter par tête et non par ordre, aux Etats généraux, et de supplier Sa Majesté de conserver au tiers-état la concurrence avec les deux premiers ordres, pour les dignités ecclésiastiques, militaires et civiles.

13° De supplier Sa Majesté de retirer son édit portant création ou rétablissement de la Cour plénière. Les alarmes, qu’il a causées engageront son cœur paternel à l’anéantir.

14° De supplier également Sa Majesté de retirer les pouvoirs étendus en faveur des bailliages secondaires. Ils sont alarmants pour le citoyen qui n’a qu’une médiocre fortune. La réclamation sur cet objet est universelle.

Pressés par le peu de temps qui nous a été donné pour nous rassembler, nous n’avons pu tracer que rapidement et sans ordre le tableau de nos doléances et de nos besoins, nous supplions Sa Majesté d’y avoir égard, et nous prions tous nos concitoyens et nos compatriotes, intéressés comme nous à la réforme des abus, d’y ajouter les couleurs qui nous manquent. »

Des impôts jugés trop lourds

Ces articles soulignaient une plainte unanime, le poids excessif des impôts et des charges qui pesaient sur le peuple et en tout premier lieu, la taille royale que seuls les membres du tiers état payaient, et la corvée royale rachetable pour la construction des routes.

La taille  était répartie entre les provinces puis entre les paroisses. Au sein des paroisses, elle était affectée sur les chefs de famille du Tiers état selon leurs facultés. Les collecteurs désignés par la paroisse en assuraient le recouvrement. Une liste  était tenue sur laquelle on inscrivait (enroller) ou rayait (déroller) les taillables.

Extrait du registre des BMS de la paroisse de Moon relatant l’imposition à la taille en 1753 (2)

« Du dimanche vingt-troisième jour de décembre mil sept cents cinquante trois, à l’issue de la haute messe paroissiale de Moon, nous communs,  natures taillables en ladite paroisse assemblées au son de la cloche au lieu ordinaire à faire toute délégation publique et de … suivant les annonces qui ont été faites au prône dudit lieu le jour de dimanche dernier, réitérée vendredi jour et fête St Thomas à aujourd’hui, aux fins de délibérer sur les affaires de notre communauté , spécialement pour enroller et déroller et donner pouvoir aux collecteurs pour l’année prochaine 1754, aux fins par ladite dation leurs tailles sur tous les contribuables comme il en d’usage, et de ce conforme à faire le présent consentement, les présentes faisant for pour les absents soussignées  et premièrement

A enroller François De Cauvelande avec son père et frère, Denis … »

L’article 11 du cahier sollicitait une doléance propre à Moon «  la prolongation de la route d’Isigny à Saint-Lô, traversant cette paroisse ». Cette nouvelle route, directe, s’avérait importante pour le désenclavement de Moon et la circulation des produits entre les paroisses concernées par le tracé. Sous le règne de Louis XVI, de nombreuses routes furent construites, mais aux frais des habitants tenus par la corvée royale. Aussi était affirmée cette revendication que « la réparation et l’entretien de tous les chemins vicinaux, de paroisse en paroisse … étant d’utilité publique doit être supporté par le général » et non être à la charge exclusive de chaque paroisse. Cette demande de route fut actée  sous la 1ère République, par le directoire du département en avril 1794 (6 floréal an IV), qui arrêta que la route Saint-Lô-Isigny serait dirigée vers Saint-Clair et La Luzerne, et qu’il serait pourvu incessamment à son exécution (3).

A ces impôts royaux directs, s’ajoutaient les impôts indirects : la gabelle sur le sel, les aides sur les boissons et les aliments, les traites sur les marchandises au passage des frontières y compris entre provinces. Une seule solution s’imposait à leurs yeux, la suppression de tous « ces droits onéreux » et les remplacer par un impôt plus juste qui pèserait sur tous, y compris les nobles et le clergé privilégiés. Il n’aurait pas pour objet « uniquement les propriétés foncières » mais aussi les autres revenus comme ceux des négociants. 

Moon et l’Ouest de la Normandie relevait du quart-bouillon

Les plaintes concernaient également une autre injustice financière, celle prélevée par « cette foule d’employés de tout étage qui s’enrichit depuis si longtemps du prix de nos sueurs ». Ces commis d’état, officiers de l’état, juges du baillage royal éloignés, priseurs-vendeurs ou collecteurs des impôts, se payaient sur le particulier. Pesaient aussi, les tarifs des droits de greffe et du contrôle des actes notariés  qui les exposaient à «  des amendes vexatoires que les vérificateurs ne portent que trop souvent au-delà de la valeur de l’objet qui a donné lieu aux actes ». Les paroissiens de La Luzerne dénonçaient ouvertement « la rapacité d’une espèce d’hommes anthropophages … ne se nourrissant que de la substance du pauvre et de l’indéfendu ». (4)

Les abus des privilégiés et le poids de la dîme dénoncés

Aux abus des charges royales et de leur administration, s’ajoutaient les privilèges des nobles et du clergé. Les membres du Tiers état revendiquaient l’égalité devant l’impôt, la justice et l’accès aux fonctions. Les articles du cahier de Moon n’évoquèrent pas les abus des droits seigneuriaux, comme l’obligation de l’utilisation du moulin banal, par exemple à St-Evremond de la  Barre (4), ou comme le droit de colombier et ses dégâts occasionnés par les pigeons sur les récoltes, par exemple à Litteau (4),ou comme le code de chasse ou encore le paiement du cens seigneurial … . Plusieurs notables signataires du cahier de doléances entretenaient des relations avec le seigneur de Moon, Jean de Baupte, comme le parrainage de leurs enfants lors du baptême. Est-ce une explication de cette absence de dénonciation des abus des seigneurs?

L’article 9 du Cahier de Moon dénonçait par contre avec force les « dîmes de tout espèce » versées au clergé, l’autre ordre privilégié.

Caricature et gravure circulant à l’époque et dénonçant les privilèges de la noblesse et du clergé

Un dixième des récoltes était versé au clergé, mais la part la plus importante allait au patron de la paroisse et non au prêtre desservant, qui ne recevait que la portion congrue.

La paroisse de Moon fonctionnait selon le système des cures à portions : le seigneur de Moon, Jean de Baupte, était patron pour la grande portion desservie par Laurent Simon prêtre. Le chanoine de Moon, le sieur Jacques Blasne, assurait en 1789 le patronage de la petite portion dite de la prébende, mais il résidait au chapitre de la cathédrale de Bayeux. Il en récupérait les revenus alors que le desservant sur place de la prébende, Léonord Villière prêtre curé, ne recevait qu’une portion congrue.

Le fonctionnement du système en deux cures et les sommes récupérées par les patrons qui avaient droit de regard sur la nomination des curés desservants étaient source de nombreux conflits comme l’écrivaient les paroissiens de Moon « cet impôt dont la prestation et la quotité occupent, depuis si longtemps les tribunaux de la province et le Conseil, est une source intarissable de procès ».

Les paroissiens demandaient le bon usage de la dîme« en fixant un sort aux curés, capable de les faire vivre et de soulager les pauvres, on rétablirait la confiance perdue par l’opposition d’intérêts ». Cette revendication était formulée dans de nombreuses paroisses comme à La Luzerne, Rampan, Notre-Dame des Bois d’Elle ou à Sainte-Suzanne (4). Les paroissiens de Sainte-Suzanne estimaient qu’un tiers de la dîme devait aller aux pauvres, que la portion congrue devait s’élever à une somme fixe : 1 200 livres annuelles pour un curé, 500 livres pour un vicaire. A La Mauffe (4), les paroissiens estimaient qu’un quart devait aller aux pauvres. Le curé de Cartigny (5), paroisse voisine, dénonçait les revenus des chanoines qui touchaient 3 à 4 000 livres par an, alors que l’utile prêtre touchait à peine 1 200 à 1500 livres et que des bureaux de charité seraient bien nécessaires dans les paroisses. Le cahier de doléances du grand baillage de Caen dans son article 62 estimait qu’une rente minimale de 1 500 livres était nécessaire pour la subsistance du curé (5).

Le pressoir – le dégraisseur patriote : caricature circulant à l’époque et dénonçant les privilèges du haut-clergé (BNF) – Le chanoine du chapitre de la cathédrale , Jacques Blasne en 1789, était un gros décimateur à Moon; il résidait sur Bayeux. Léonord Villière était le curé desservant de la prébende et n’avait que la portion congrue.

L’une des grandes préoccupations était le coût de l’entretien et la reconstruction des presbytères comme à La Luzerne, à Rampan ou à Sainte-Suzanne et comme à Moon.

En 1784, à Moon, le presbytère de la prébende qui relevait du patronage du chapitre de la cathédrale de Bayeux plus que dégradé, nécessitait de lourds travaux de reconstruction estimés à un montant de 2000 livres. Les habitants de la paroisse avaient député François Piquenard pour les représenter. Ce dernier avait choisi comme expert Pierre Dupont architecte de la ville de Bayeux et le curé Léonord Villière avait retenu le sieur Durand architecte de la ville de Saint-Lô. Les deux architectes furent chargés de faire «un rapport de l’état des choses … et procéder au devis estimatif des ouvrages à faire » (6). Les fondations du presbytère furent posées en avril 1786 en présence du seigneur de Moon. Le coût élevé de ces travaux pouvaient expliquer la colère des paroissiens à propos des dîmes détournées par les décimateurs. D’ailleurs Léonord Villière, curé de la prébende, renonça à la reconstruction de l‘écurie qui se montait à 400 livres supplémentaires.

Le presbytère de la grande portion et de la prébende, vu du cimetière, à proximité de l’if (l’extension à droite est plus tardive, XIXe siècle)

Un contexte de disette au printemps 1789 et d’émeutes de la faim.

Au printemps 1789 la disette éprouvait beaucoup les populations. L’été pourri de 1788 avait compromis les récoltes et l’hiver long et rigoureux de ce début de 1789 avait accentué la crise de subsistances. Les prix des blés se renchérissaient, de nombreuses familles plongeaient dans la misère. Le nombre de mendiants se multipliait. Le fardeau des impôts et des charges qui pesaient sur le seul Tiers état paraissait alors plus intolérable et le détournement des dîmes au profit du haut-clergé ne permettait pas d’assurer les œuvres de charité et d’aumône.

Le climat d’agitation s’exacerba au cours de ce printemps 1789, le 26 mars 1789 à Saint-Lô une émeute de la faim éclata, la population pilla le dépôt de grains, grains que les blattiers emportaient de Saint-Lô pour un boulanger de Bayeux. Une distribution de pain fut organisée pour calmer la population et deux femmes furent arrêtées, « la Bessine et la Moisson ». De nouvelles tensions eurent lieu le 2 mai, « cette disette a occasionné un attroupement d’environ 400 personnes. Cette bande est venue chez moi me demander du grain, ou la permission d’aller dans les campagnes en prendre pour de l’argent » selon le subdélégué royal Robillard qui envoya une brigade dans les campagnes pour réquisitionner des blés et approvisionner le marché.

Des revendications politiques pour le bonheur du peuple

Par la demande d’une égalité face à la justice, à l’impôt, à l’accès aux fonctions, par la revendication de l’abolition des privilèges et de leurs abus, par la fin de l’arbitraire infligé par les divers commis et officiers de l’Etat, les habitants de Moon réclamaient la fin d’une société d’ordres basée sur les privilèges de naissance.

A cette fin ils demandaient « l’effet de voter par tête et non par ordre ». Le nombre de députés du Tiers état  à élire était de 598, et pour les deux ordres privilégiés, il était de 308 députés pour le clergé et 290 députés pour la noblesse. Un vote par ordre n’aurait pas de sens à leurs yeux, car il laisserait l’avantage aux deux ordres privilégiés.

Enfin comme dans beaucoup de cahiers, dont celui de Moon, il était demandé « le besoin de rendre à la province de Normandie ses privilèges et ses Etats ». Louis XIV en 1654 avait enlevé à la Normandie ses Etats provinciaux, une assemblée où siégeaient les représentants des trois ordres de la province.  Ces Etats provinciaux, comme en Bretagne, avaient un droit de contrôle sur l’impôt royal en donnant leur assentiment pour la levée de l’impôt et en assurant la répartition et le contrôle de la collecte. Le rétablissement des Etats provinciaux serait perçu comme une garantie face aux injustices dans la répartition de l’impôt.

La réaffirmation de leur fidélité au roi

En ce début 1789, avec la convocation des états généraux, rien ne présageait une révolution violente. Le peuple n’envisageait nullement cette précipitation d’événements qui allait aboutir à l’arrestation du roi en 1791, à sa déchéance en 1792 et à sa décapitation en 1793, ni à une période de Terreur. Sujets du roi, les paroissiens de Moon s’adressèrent d’une manière révérencieuse, « nos sentiments respectueux de reconnaissance envers Sa Majesté », et souhaitaient d’abord alerter le roi sur les abus et injustices qui régnaient dans son royaume afin qu’il apporte «  le soulagement et le bonheur de ses peuples ». Le roi incarnait la figure du père du peuple. Les paroissiens de Surtainville terminaient  leur cahier par cette manière «Pourquoi ne le dirions-nous pas? Le roi se montre notre père, il faut lui parler avec confiance » (7).

Lors de son voyage en Normandie à Cherbourg, fin juin 1786, le roi Louis XVI fit l’objet d’une ferveur populaire par l’enthousiasme et le loyalisme des populations. Il passa non loin de Moon, le 22 juin après-midi 1786, par Bayeux, Saint-Lô, Pont-Hébert, Saint-Jean-de-Daye, Carentan, Cherbourg.

Le centenaire de la Révolution célébré par le conseil municipal en 1889

Sous la IIIe République, lors de sa séance du 12 mai 1889, le conseil municipal décida de célébrer la Révolution en recopiant dans le registre du conseil, les articles du cahier des doléances des habitants de la paroisse de Moon de 1789.

délibération du conseil municipal de Moon de mai 1889

L’intérêt de ce document est qu’il comporte les noms des chefs de famille,  au nombre de 19, signataires de ce cahier de doléances de 1789. Souvent ces réunions étaient dominées par quelques chefs de famille plus influents, plus écoutés qui orientaient les débats. Qui étaient-ils à Moon?

Le cercle des notables de la paroisse de Moon signataires du cahier de doléances en 1789

D’abord de vieilles familles de Moon, des laboureurs,

dénommés ainsi avant la Révolution, c’est-à-dire des cultivateurs plus aisés, propriétaires ou fermiers.(avec les signatures originales datées, retrouvées dans les actes des BMS et Etat-civil) (8)

Les Piquenard (2 signatures) étaient une très vieille famille de Moon et de Saint-Clair. Il existait  sur cette dernière paroisse, un hameau Piquenard, proche de Moon.

François Piquenard, fils Jean,  âgé de 67 ans (1721- 1801) originaire de Moon, était laboureur à Moon. Marié en 1761 avec Marie Lecanu, sœur de Denis Lecanu autre signataire, ils avaient eu 5 enfants. François Piquenard avait déjà été député par les paroissiens, 5 ans auparavant, pour le choix des architectes lors de la reconstruction du presbytère de la prébende.

Jacques Piquenard, fils Henri, âgé de 44 ans, né à Saint-Clair en 1744, était laboureur à Moon. Il s’était marié  en 1778 à Marie Jeanne Le Guay. Jacques Piquenard devint, sous la Révolution, officier municipal en 1794 dans la municipalité de Moon. Son frère Henri Piquenard (1734-1810) était également laboureur sur Moon.

Les Le Canu (une signature D. Le Canu) étaient une très vieille famille de Moon.

Denis Lecanu, fils Guillaume, âgé de 50 ans (1738-1828),  était laboureur à La Lande. Marié à Marie Bucaille en 1766, ils eurent 2 enfants. Veuf en 1777, il se remaria à Louise Poisson vers 1778, et eurent 7 enfants.

Pendant la révolution, en 1793, il devint le capitaine de la Garde nationale de Moon.

Denis Lecanu avait des liens avec les seigneurs de Moon, les de Baupte furent parrains de sa première fille Henriette, et les de Grimouville furent présents à son mariage en 1766. Par sa mère Françoise Guéroult, Denis Lecanu  était le fils d’une famille de petits nobles, les Guéroult écuyers à Moon. Son parrain fut Denis Groult, sieur des Rivières. Il était le  beau-frère de  François Piquenard, autre signataire.

Les Pignolet (2 signatures P et C Pignolet) étaient une très vieille famille de Moon, un village de Moon, le village aux Pignolets porte leur nom.

Charles Pignolet, fils Antoine, âgé de 48 ans, originaire de Moon  né en 1740, était laboureur. Marié à Françoise Lepingard en 1760,  ils eurent 5 enfants. Un autre Charles Pignolet, laboureur, qui pourrait être son fils aîné (né en 1765) était marié à Marie Thomasse. Il eut un fils en 1791. Il existe encore un autre Charles Pignolet, fils Gisles, né vers 1733, laboureur au village aux Pignolets. Il décéda en mars 1797

Pierre Pignolet, fils Pierre, âgé de 74 ans environ (vers 1715 –1803), originaire de Moon, était laboureur. Marié avec Marie Piquenard en  1748 à Saint-Clair, ils eurent 7 enfants. Pierre a un fils Pierre âgé de 35 ans en 1789.

Les Lelaizant étaient une très vieille famille de Moon(une signature G Lelaizant).

Guillaume Lelaizant, fils Jacques, âgé de 40 ans (1748 – 1820), originaire de Moon,  était laboureur à Moon, proche de La Forge-Fallot. Marié à Louise Yon, ils eurent 5 enfants.

En mai 1792, sous la Révolution,  il devint officier municipal de la municipalité de Moon.

Les Gislot (une signature Gislot) étaient une vieille famille de Moon, un village de Moon, La Gilloterie, aux limites de Cartigny (Ste-Marguerite) porte leur nom.

Jacques Gislot, fils Pierre(son prénom est cité dans les PV de l’Assemblée du Tiers Etat au grand baillage de Caen page 147 – (12)). Agé de 61 ans, il est né en mai 1728 mais déclaré sur la paroisse voisine de Cartigny. Il décéda en juillet 1795, déclaré à Moon.

Il fut député de la paroisse de Moon pour être présent à la rédaction du cahier du baillage de Thorigny.

Son frère Firmin, né en 1724 sur Cartigny, marchand puis laboureur, se maria à Jeanne Henri à Clouay en août 1756, mariage auquel assista Jacques Gislot. Firmin et Jeanne eurent 10 enfants. Jacques Gislot fut le parrain d’un des fils, né en 1762 sur Cartigny, nommé Jacques. Une des filles, Jeanne, née en 1770 sur Moon, eut pour parrain et marraine les Bauquet, sieur de Monville.

Pierre Gislot, fils Firmin, âgé de 25 ans environ, né en mars 1764, laboureur sur Moon, déclara la mort de son oncle Jacques en 1795.  Pierre Gislot, veuf de Marie Laloüel, se remaria en 1805 avec Marie Hébert à Moon, en présence des anciens seigneurs de Moon, Jean de Baupte et sa femme. Après 1795, il fut laboureur sur la commune voisine de Cartigny. Son frère Bon Gislot, âgé de 21 ans environ (vers 1769 – 1840) resta laboureur sur Moon.

Les Castel (une signature g Castel) étaient une très vieille famille de Moon. Un village de Moon, La Castellerie, dans la vallée de l’Elle, à la limite de St-Clair, porte leur nom.

Guillaume Castel, fils  François, âgé de 68 ans (1721 – 1808), originaire de Moon, laboureur, s’était marié avec Jeanne Delavallée.

Les Durand (une signature E durand) étaient une très vieille famille de Moon. Un village de Moon, La Duranderie, porte leur nom. Les registres des B.M.S. de Moon n’ont pas indiqué de Durand ayant un prénom commençant par E.

Guillaume Durand, fils Guillaume, âgé de 30 ans (1758 – 1828), originaire de Moon, laboureur marié à Marie Lemazurier, eut 5 enfants. Il avait au moins 4 frères Léonard, Louis, Michel et Charles Durand. Il a parrainé Guillaume Pignolet, fils Charles, en 1791.

Il existe aussi un autre Guillaume Durand, fils Robert, âgé de  55 ans (1733 – 1792) laboureur à Moon.

Les Foucher (une signature J Foucher) étaient une très vieille famille de Moon. Un village de Moon porte leur  nom, Les Foucheries.

Jean Foucher, fils Jean, âgé de 42 ans environ (1747/48 – 1826), originaire de Moon, était laboureur. Marié à Madeleine Belhache,  ils eurent 3 enfants.

Les Levilland étaient une vieille famille de Moon

François Levilland (une signature F Levillant), fils François, âgé de 44 ans (1745 –  1821) originaire de Moon, mais lié à Saint-Clair où il décéda, était laboureur à la Castellerie, village jouxtant Saint-Clair. Il était marié à Marie Leblond et ils eurent 4 enfants.

Les Delalande (signature D Lallande) sont une très vieille famille de Moon. Les terres de Moon vers St-Clair portent le nom La Lande ou le Bas des Landes.

Jean Delalande, fils Jean, âgé de 47 ans (1741 – 1803), était originaire de Moon. Plusieurs Delalande sont laboureurs sur La Fauconneterie, le Mont-Sauvage ou à La Guillouetterie, proche du moulin La Fosse aux limites de Villiers-Fossard et de La Meauffe où résidait Jean Delalande à son décès.

Le père de Jean Delalande était bourgeois de Saint-Lô et laboureur de Moon et son grand-père Pierre Delalande était chirurgien. Son parrain fut Jean Le Duc tabellion royal, père de Charles Le Duc autre. Il se maria à Marie Anne Belhaire, et ils eurent 7 enfants.

Sous la Révolution, Il devint maire de Moon en 1794-95.

Des laboureurs venus d’autres paroisses

Louis Pouchin (une signature L Pouchin), âgé de 66 ans environ (vers 1723 – 1802), originaire d’Hébécrevon, fut laboureur à Moon dans les années 1780 à la ferme de la Vallée, propriété de Mr de Neuilly. Il était marié à Anne le Roy, originaire de Lison, et ils eurent 7 enfants. Il résida ensuite au village du Pont de la Hoderie à Moon, proche de Cartigny.

Il existait aussi un autre Louis Pouchin, fils Jean, âgé de 46 ans, né en 1742 à Moon.

Pierre Aubril, (une signature Aubry), fils Louis, âgé de 51 ans (1737– 1808), était originaire de Cartigny et décéda à Cartigny. Marié à Anne Simon à Cartigny en 1770, ils s’installèrent laboureurs sur Moon dans les années 1770. Ils eurent 6 enfants dont  Michel baptisé en 1782 en présence des seigneurs de Moon les de Baupte. Ces anciens seigneurs de Moon furent présents au mariage de Michel Aubril à Moon en 1807.

Une bourgeoisie rurale titulaire de charges royales

Les Le Duc étaient des bourgeois, chirurgien, tabellion royal, huissier-priseur.

Charles Le Duc (une signature Le Duc), fils Jean,  âgé de 55 ans (1734 – 1807) originaire de Moon, était le fils de Jean Le Duc, tabellion royal en la vicomté de St-Lô et petit-fils du côté maternel de Pierre Delalande chirurgien. Il était huissier priseur vendeur pour le siège de St-Clair. Par ses origines, sa fonction et son enrichissement, il fut  qualifié aussi d’actionnaire en 1799 et de cultivateur à son décès. Le terme de cultivateur remplaça le terme de laboureur avec la Révolution.

Il se maria en 1765 à Marie Angélique Delalande, cousine de Jean Delalande, fille de Joseph laboureur à Moon. Ce mariage se fit en présence du seigneur de Moon, les de Grimouville. Ils eurent 8 enfants. Sa première fille Marie Angélique fut inhumée en 1766 dans la chapelle Ste-Barbe de l’église de Moon, privilège des familles nobles ou de notables importants. Sa fille Marie née en 1770 se maria en 1790, un an après les cahiers de doléances, en présence des de Baupte ex-seigneurs de Moon.

Il fut député au baillage de Thorigni, puis de Caen comme commissaire pour rédiger le cahier unique du Tiers.

Les Le Clerc (signature Leclère) sont une famille d’abord liée à la paroisse de Saint-Clair

Louis Exupère Le Clerc, fils David, âgé de 32 ans environ (1755/57 – 1828), originaire de St-Clair, était le fils de David Le Clerc huissier à Saint-Clair. Louis Le Clerc s’était établi à Moon comme laboureur et s’était marié avec  Marie Delauney.

Secrétaire greffier de la municipalité de Moon sous la Révolution en 1794, il devint maire de Moon de 1800 à 1806. Louis Le Clerc, laboureur, devint propriétaire de la ferme et de la terre de la prébende, ancien bien relevant du chanoine du chapitre de la cathédrale de Bayeux (cadastre napoléonien). Les biens du clergé avaient été confisqués par l’Etat en 1790 puis vendus.

Les Lefèvre étaient une très vieille famille de Moon sous le nom de Lefèvre ou Lefébure. Firmin Lefèvre signait Lefèvre du Perrey dans les années 1780. Les Perrées sont le  nom de plusieurs parcelles de terres de Moon, situées près de la Croix sous l’Ange et de la Croix sous l’Atre vers le moulin-Hébert, mais aussi près de La Fèbvrerie direction route d’Airel.

Firmin Lefèvre (signe Lefèvre du Perrey), fils Jean Lefébure,  âgé de 45 ans, né en 1743 et originaire de Moon, fut procureur syndic de la forêt de Neuilly sur Lison dans les années 1780. Il s’était marié à Marie de Parfouru, fille de François de Parfouru noble de Lison, et ils eurent 4 enfants. Sa fille Henriette née en 1786 sur Lison, fut parrainée par les seigneurs de Moon les de Baupte.

Il devint le maire de Moon de 1792 à 1794 sous la Révolution.

Des familles de laboureurs ayant des liens familiaux plus modestes.

Les Demagny (signature Demagny) étaient originaires de Lison, paroisse voisine.

Julien Demagny, fils Jacques, âgé de 56 ans environ (vers 1733 -1823), était laboureur au Triage de la Fotelaie. Remarié à Marie Boursault, après son veuvage de Marguerite Letot, puis de Madeleine Laurence, Il a eu 5 enfants. Ses origines étaient plus modestes. Ainsi un Pierre Demagny cordonnier sur Lison  dans les années 1780 sans oublier des liens avec les familles Levieux et Lepainteur charpentiers.

Sous la révolution, il fut Agent municipal de Moon en 1795/98 (soit le maire).

Les Levieux (signature J Levieux) étaient une vieille famille de Moon. Au XVIIIe ils étaient des laboureurs mais aussi des charpentiers voire des potiers.

Jean Levieux,  âgé de 27 ans environ, né vers 1762,  était cultivateur tout comme un autre Jean Levieux, fils René, âgé de 20 ans, né en 1768, originaire de Moon, laboureur ou encore Guillaume Levieux, fils Guillaume,  âgé de 36 ans (1752-1791) laboureur et gendre de François Piquenard autre signataire.

Les métiers de charpentier étaient exercés par André Levieux, né vers 1741, charpentier à La Fotelaie ou André Levieux né vers 1761 charpentier ou le métier de couvreur en paille par René Levieux. Le métier de potier était exercé par  Julien 20 ans, ou Pierre 29 ans.

De vieilles familles de Moon laboureurs pour la majorité dans ce cercle de notables ruraux.

Nous constatons que ces chefs de famille étaient issus de vieilles familles de Moon, laboureurs pour la majorité et bourgeois pour quelques-uns. Ils constituaient le cercle des notables de la paroisse. Les métiers  de potiers, de tisserands ou du bâtiment ainsi que de journaliers ne figuraient pas parmi les signataires. Ces notables nouaient entre eux des liens familiaux  par des mariages ou lors des baptêmes en se portant parrain ou marraine des enfants.

Ils cultivaient également leurs relations avec les seigneurs patrons de Moon, les de Baupte ou les de Grimouville. Ces seigneurs furent invités à des mariages de ces signataires ou de leurs enfants, comme chez les Piquenard, Le Canu,  Gislot ou Le Duc. Plusieurs enfants ont eu pour parrain ou marraine, ces seigneurs de Moon comme chez Lefèvre ou Aubril. Charles Le Duc, un an après les cahiers de doléances, fut honoré de la présence des anciens seigneurs de Moon pour le mariage de sa fille Marie en 1790. Ces liens expliqueraient-ils qu’aucun article du cahier de Moon ne mit en cause les abus des seigneurs, portant l’accent plutôt sur ceux du clergé avec les dimes ?

La plupart exercèrent ensuite des fonctions dans les municipalités de Moon mises en place par la Révolution. Firmin Lefèvre, Jean Delalande, Louis le Clerc devinrent maires et Julien Demagny avec le titre d’Agent municipal occupa les mêmes fonctions. Denis le Canu fut désigné capitaine de la Garde nationale de Moon.

Jacques Gislot et Charles Le Duc délégués de la paroisse auprès du baillage de Thorigny.

Selon les registres des P.V. de l’Assemblée du  Tiers Etat du grand baillage de Caen, nous retrouvons les noms de Charles Le Duc et de Jacques Gislot comme députés de la paroisse de Moon auprès du baillage secondaire de Thorigny (12). Ces députés déposèrent le cahier de Moon au baillage de Thorigny le  jeudi 5 mars 1789 en l’église St-Laurent. Charles le Duc fut nommé commissaire avec 14 autres pour la lecture des 59 cahiers des paroisses du baillage afin de rédiger un cahier de réduction. Ce cahier de réunion fut lu, le 7 mars après-midi, devant les députés des différentes paroisses du baillage à nouveau réunis qui l’approuvèrent à l’unanimité. Manquaient à l’appel, 3 députés dont  Jacques Gislot (13).

Pour le clergé, le cahier fut rédigé directement au baillage de Thorigny. Moon ayant 2 portions, Laurent Simon et Léonord Villière prêtres curés à Moon, représentèrent Moon. Pour l’élection des 3 députés aux Etats-Généraux et la rédaction du cahier unique de l’ordre du clergé, l’assemblée eut lieu au grand baillage de Caen le lundi 16 mars. Jacques Blasne, chanoine de Moon, y fut présent, comme l’un des  représentants du chapitre de la cathédrale de Bayeux.

Léonord Villière, curé desservant de la portion dite de la prébende, ne fit pas le déplacement à Caen et donna procuration à Laurent Simon, par un acte du 13 mars (ci-dessus) devant le notaire Joachim Langlois et les témoins Joachim François Delalande et Jean Raoult custos (14)

Pour la noblesse, les 2 « gentilshommes possédant de fiefs » à Moon, présents à l’Assemblée du grand baillage de Caen furent  M. Jean de Baupte seigneur de Moon et M. Thomas Conseil seigneur du Mesnil-Vité. M. Thomas Conseil représenta  M. Frestel seigneur de Saint-Clair qui donna procuration. Leurs deux familles étaient très liées. Quant à Jean de Baupte, il retrouva son frère Louis de Baupte gentilhomme d’Ecrammeville (15) du baillage de Bayeux.

Charles Le Duc, commissaire de Moon pour la rédaction des cahiers uniques du baillage de Thorigny et du grand baillage de Caen en mars  1789

Parmi les 135 signataires du cahier unique composé de 43 articles à Thorigny, figurait le nom de Charles Le Duc, habitant de Moon (9). Charles le Duc travailla sur le cahier unique du baillage du 5 au 7 mars avec 14 autres commissaires.

Charles Le Duc fut choisi avec 12 autres commissaires de la campagne, pour représenter le Tiers Etat du baillage de Thorigny à l’assemblée des 3 ordres du lundi 16 mars qui se tenait au grand baillage de  Caen réunissant les 5 baillages : Caen, Bayeux, Falaise, Thorigny et Vire. Ils étaient chargés de participer à la rédaction du cahier de doléances, plaintes et remontrances du grand baillage de Caen. Ce cahier de 90 articles  auquel ont été ajoutés les cahiers des 5 baillages, fut achevé le 21 mars (10).

Charles Le Duc, un notable de Moon

Charles Le Duc, né à la fin des années 1730, fils de notaire royal, exerçait la charge de priseur-vendeur pour le siège de Saint-Clair, qui le  qualifiait notamment dans la vente aux enchères de biens meubles. Par sa naissance, son instruction, ses affaires et ses liens avec la ville de Saint-Lô, il appartenait à la classe de la bourgeoisie.

Par son mariage en 1765 à Moon (8), le 14 février, avec Angélique De La Lande, âgée de 26 ans, une vieille famille de laboureurs à Moon, son intégration au réseau de notables de Moon fut renforcée. Sa fille Marie, se maria en 1790 en présence des anciens seigneurs de Moon, les De Baupte.

signatures sur l’acte de mariage de Charles Le Duc et Marie Angélique Delalande de 176

Le Duc (le marié) – M Dlelalande (la mariée) – N Delalande (Nicolas D. frère de la mariée)

Delalande (François ? oncle de la mariée ?) – J Chipey (beau-frère de la mariée) – J Delalande (Jean Delalande)

De Grimouville – Grimouville Larchamp (seigneurs de la petite portion de Moon)

JDlalande (Jean Delalande) – Mauger (famille maternelle de la mariée) – Declomesnil (belle-famille de Nicolas D. frère mariée)

? – A Guesnon (curé) – F Delalande (FR. Pierre Delalande frère de la mariée) – L Villière (curé)

Agé de la cinquantaine, il participa activement à la rédaction des cahiers de doléances à Moon, à Thorigny puis à Caen où il fut délégué commissaire à la rédaction du cahier unique du Tiers état du grand baillage.

Veuf en 1796, de Marie Delalande décédée le 5 juin 1796 (8), actionnaire et retiré comme cultivateur au village de la « Guilloterie », Charles Le Duc décéda à Moon le 3 septembre 1807 à l’âge de 72 ans selon l’acte (8).

Des notables devenus membres de la municipalité de Moon-sur-Elle pendant la Révolution

Ces notables locaux, signataires du cahier de doléances, dirigèrent la nouvelle municipalité créée avec la Révolution française. Firmin Lefèvre fut maire de 1792 à 1794, Jean Delalande lui succéda de 1794 à 1795 et Julien Demagny le fut de 1795 à 1798 (titre d’Agent municipal sous le Directoire). Louis Exupère Le Clerc était le secrétaire greffier de la municipalité en 1794 et devint maire de 1800 à 1806. Il devint aussi le propriétaire de la ferme et des terres de la prébende (cadastre napoléonien) qui appartenaient au chapitre de la cathédrale de Bayeux. Les biens de l’Eglise avaient été confisqués par la Révolution puis vendus. Guillaume Lelaizant et Jacques Piquenard furent officiers municipaux en 1792, 1794 et Denis Le Canu capitaine de la Garde nationale en 1793.

Ces notables, à la tête de la gestion de la commune, furent confrontés à la colère de leurs propres concitoyens ; une émeute de la faim en 1794. Dans un contexte de vie chère et de disette, les réquisitions pour l’effort de guerre avaient provoqué des mécontentements et colères. L’historienne Madeleine Deriès rapporta qu’à Moon, le 20 prairial an II (8 juin 1794) des manifestations séditieuses eurent lieu à Moon. Des citoyens et des citoyennes s’étaient précipités vers l’église transformée en temple de l’Eternel et menacèrent les autorités locales « bougre de municipalité, tu nous laisses mourir de faim après nous avoir fait porter nos blés à Saint-Lô. Si tu n’avais pas déjeuné, tu ne chanterais pas » (3). Le 26 prairial (14 juin 1794), informé de ces faits par un procès-verbal du comité révolutionnaire de la commune, le conseil du district de Saint-Lô ordonna l’arrestation des coupables et leur incarcération à la maison d’arrêt de Saint-Lô. On les renvoya ensuite chez eux, sous la surveillance des autorités de Moon, car leur excitation était causée par la faim. Depuis quelques jours ils n’avaient mangé que des choux mêlés avec de la farine de sarrasin (3).

Ce jour du 8 juin 1794 (20 prairial an II), en présence de la municipalité, se déroulait la fête nationale en l’honneur de l’Etre suprême voulue par Robespierre, et célébrée dans l’église de Moon, désormais appelée temple de l’Eternel. L’église de Moon avait été fermée au culte catholique avant le 30 mars 1794 (10 germinal an II) comme d’autres églises (3).

une campagne de déchristianisation

Ce mouvement de déchristianisation avait été lancée par le gouvernement révolutionnaire contre l’Eglise. La République voulait remplacer la morale chrétienne par une morale civique. Le calendrier républicain remplaça le calendrier grégorien, le décadi remplaçant le dimanche, Le mariage devint d’abord un acte civil consenti devant le maire. L’église servait de lieu de réunion pour les autorités.

Estampe, anonyme, 1794 (BNF)

Néanmoins, dans les campagnes, le culte catholique restait encore célébré notamment vers le Calvados dans les communes voisines comme à Lison, Sainte-Marguerite, L’Epinay, La Haye d’Ectot où les foules étaient nombreuses. La liberté de culte fut rétablie le 21 février 1795 et les églises rendues au culte catholique : celles de Moon et Saint-Clair réouvrirent le 11 floréal An III soit le 30 avril 1795 (3).

» L’intérieur de l’église ne fut dévasté ni souillé par les décades, …, en un mot l’église fut respectée. Un nommé Pierre Pouchin, qui était enfant de choeur avant la Révolution, me dit que ses parents demeurant dans le voisinage de l’église, il était chargé par l’officier civil, Julien Demagny, d’ouvrir et de fermer l’église, de la tenir propre et bon état … » (16). Par contre « la petite cloche fut descendue de la tour et envoyée partager le sort de tant d’autres » (16). Le gouvernement révolutionnaire dans le contexte de la Patrie en danger avait fait réquisitionner en 1794 les métaux. Selon l’arrêté du Représentant en mission, J.-B. Lecarpentier, les cloches devaient être envoyées aux fonderies de Rennes, Villedieu ou Saint-Lô.

Exemple d’utilisation du calendrier révolutionnaire à Moon : « 1804 – je été faite faire l’an 12 de la République par Raphaël Lepetit+M.Ctl », inscription au-dessus de la porte d’entrée, maison située au carrefour Pomme d’Or.

Raphaël Lepetit, maréchal-ferrant, s’était marié à l’âge de 26 ans à Moon,  en février 1787, avec Michelle Castel (M.CTL). Outre cette maison faite en 1804, il était propriétaire en 1811 de 4 ha sur le Rachinet où se trouvait une carrière.

La plantation de l’arbre de la Liberté, symbole de cette Révolution émancipatrice.

Un arbre de la Liberté fut planté sur la petite place de Moon, entre le château et le cimetière-église (17), dans les débuts de la République, sûrement entre 1792-94, comme ce le fut le cas dans d’autres paroisses, à Cerisy le 7 octobre 1792 ou St-André de l’Epine le 10 mars 1794 (3), ainsi que dans la ville du district, Saint-Lô.

Fresque réalisée à Saint-Lô, rue Croix au Capel, lors du bicentenaire de la Révolution (plantation de l’arbre de la liberté)

Pour les commémorations du bicentenaire,  un arbre de la Liberté, un tilleul, fut planté par  les enfants de l’école de Moon avec Mr Turmet maire, devant la salle des fêtes en 1989

l’arbre de la Liberté de Moon (1989)

Une fête du bicentenaire de 1789 fut organisée avec les écoles publiques de la Manche à Cherbourg

Ecole de Moon-sur-Elle avec Mr Rey-Dorène, instituteur, en juin 1989 à Cherbourg

Gilbert Lieurey

Source :

  • 1)Les cahiers de 1789 en Normandie, volume 2, Célestin  Hippeau 1869 (pages 357, 358 et 359)
  • 2)Registre des Baptêmes, Mariages et Sépultures de Moon 1751-70 E 6, page 18 (Archives de la Manche numérisées).
  • 3)Le district de Saint-Lô pendant la Révolution (1787 – an IV), Madeleine Deries, 1922
  • 4)Les cahiers de 1789 en Normandie, volume 2, Célestin  Hippeau 1869 (La Luzerne page 351, La Mauffe page 352, Litteau page 355, Notre-Dame des Bois page 359, Rampan page 361, Saint-Evremond page 367, Sainte-Suzanne page 372)
  • 5)Les cahiers de 1789 en Normandie, volume 1, Célestin  Hippeau 1869 (pages 204  grand baillagede Caen, Cartigny page  246)
  • 6)Registre des BMS de la paroisse de Moon 1719 – 1790 E4 page 237 à 239 (Archives départementales de la Manche numérisées)
  • 7)Cahier de doléances du baillage du Cotentin publié par E. Bridrey, 1908 (pages 534 à 537 Gallica BNF).
  • 8)Registre des BMS de la paroisse de Moon et Etat-civil de Moon, de Saint-Clair (pour B Jacques Piquenard et M Pierre Pignolet (Archives départementales de la Manche numérisées), de Cartigny (pour B,M , Aubry) et Lison (M Le Fèvre) (Archives départementales du Calvados numérisées)
  • 9)Les cahiers de 1789 en Normandie, volume 2, Célestin  Hippeau 1869 (pages 82 à 87)
  • 10)Les cahiers de 1789 en Normandie, volume 1, Célestin  Hippeau 1869 (page 250 et 254)
  • 11)Registre du conseil municipal de Moon, séance du 12 mai 1889 (en mairie de Moon).
  • 12)Registre des PV de l’ordre du Tiers Etat du grand baillage de Caen et des baillages secondaires  (16B/8/2 Archives départementales du Calvados)
  • 13)Cahier général du Tiers Etat du baillage de Thorigny (16B/256 Archives du Calvados)
  • 14)Registre des P.V. de l’assemblée de l’ordre du clergé du grand baillage de Caen portant nomination et élection de 3 députés aux Etats-Généraux (16B/3/2 pages 945 à 947 – Archives départementales du Calvados)
  • 15) Registre des P.V. de l’assemblée l’ordre de la noblesse du grand baillage de Caen portant nomination et élection de 3 députés aux Etats-Généraux (16B/5/2 pages 41-42, Archives départementales du Calvados).
  •  16)Eglises du département de la Manche 1750-1820, tome II, Michel Guilbert 2011
  • 17)registre du conseil municipal de Moon, séance du 19 juillet 1831 (en mairie de Moon)